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SOUVENIRS

prenant. Le ciel s’est lavé des nuages gris accumulés depuis trois jours sous un vent du nord-ouest. Le soleil s’est couché, rose et sans rayons. Il a posé sur la mer un immense mulon, en sorte que les flots calmés évoquent quelque champ bleu à perte de vue. J’attendais cette belle nuit du Nord, froide et claire. Est-ce de Loti qu’elle me vient avec une précision qui m’étonne au moment où je la contemple et qui fait que je la reconnais.

Quelle profondeur a le ciel, quelle liberté jusqu’à l’infini. Les constellations brillent intensément, comme heureuses de se montrer dans toute leur luminosité et d’apporter à un paysage, morne d’habitude, la joie éphémère de leur clarté.

Le bateau s’avance, blanc dans la nuit, d’un léger balancement. Il est tout seul sur l’immensité. De l’avant, au pied des mâts, près de la passerelle, il est énorme et paraît glisser dans les étoiles. Je me retourne. La cheminée lance une large fumée noire. Cette fois, c’est une bête qui s’essouffle, imposante, sûre d’elle.

Le beau temps se maintient le lendemain. Un ciel pur qui s’élève d’un horizon laiteux, un air légèrement voilé ; une mer presque bleue, à peine ridée. Le bateau laisse derrière lui une traînée lumineuse. Le beau soleil devait s’éteindre en brouillard. C’est le sort de ces mers du Nord et nous nous engageons dans la porte de Belle-Isle sans la voir.

Mais, dès la matinée du 4 juillet le soleil perce jusqu’à la mer ; et peu à peu, le jour se glorifie comme disent les Anglais. En sorte que nous entrons au pays dans une incomparable splendeur.

Le soir demeure fidèle au jour. Nous sortons de table, le soleil couché. Une tache de nacre, un reflet, au bord du ciel bleu pâle ; et des nuages mau-