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SOUVENIRS

À Paris, M. Philippe Roy nous prie à déjeuner pour rencontrer le recteur de l’Académie de Paris, M. Appell. Autour de la table, des personnalités françaises et canadiennes : Gabriel Hanotaux et sa charmante femme ; M. et Mme François Carnot, Mme Émile Sergent dont le mari va bientôt prononcer au Canada une série de conférences, première visite qui sera suivie de tant d’autres ; notre ami Naggiar, M. et Mme Victor Doré et Jean Désy.

Gabriel Hanotaux, très en forme, l’œil vif et perçant, parle de tout et d’autre chose : de politique, de vocabulaire, d’art, d’histoire. Dans le domaine international, il prévoit un mouvement impérialiste anglais vers l’Asie. À propos de la langue, il souligne l’évolution rapide des mots, leur naissance et leur disparition. On n’emploie plus guère entre deux selles, à bride abattue ni d’autres locutions ayant rapport au cheval ; on les remplace par des mots venus du vocabulaire de l’automobile : volant, freiner, donner une direction. Et des expressions entrent dans l’usage : amocher, par exemple ; mais je ne l’emploierais pas à moins d’y mettre des guillemets, ou bien je le prêterais à Maurice Donnay. Et il y a poule, ajoute en souriant un convive ; et aujourd’hui on ne déjeune plus au restaurant mais au bistro.

Les propos inclinant vers la peinture, Hanotaux, très moderne, ne s’offusque pas des cubistes. Ils ont raison, ils sont cartésiens somme toute ; c’est une mathématique. Oui, rétorque Naggiar, mais on attend le maître.

Hanotaux vante aussi les jeunes. Puis il mentionne Valéry, qu’il admire quand on le lui explique. Effectivement, si on a la clef. N’est-ce pas l’aventure que choisit le jeune Barrès ?