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SOUVENIRS

— Eh ! je prends soin de les plonger un à un dans la friture ; autrement, ce serait une masse.

— C’est le meilleur que j’aie mangé, lui déclare Jaray.

Elle rougit, heureuse que l’on apprécie son art. Le fait est que j’ai goûté depuis, en dehors de France, à d’autres buissons, qui n’étaient, eux, que masses emmêlées, gélatineuses.

***

Plus tard, nous retournons vers le même décor, mais, cette fois-ci, sur la Seine même. Près de Poissy, M. Chabaud nous prend à bord de son yacht, le Musard. Le temps est délicieux et le ciel pur. Une île contournée, il fera presque frais sous les arbres de la rive près de laquelle nous nous arrêtons pour déjeuner.

Le repas donne lieu à des propos amusants. On discute la salade, et les vins qui viennent du Chili : ils sont bons, mais ce n’est pas cela. Le blanc, qui paraît plein de soleil, n’a pas d’esprit. Ainsi les fruits, nous explique Jaray, sont splendides dans les Balkans ; mais, au goût, ils sont trop vifs. Le café vient d’Abyssinie et Naggiar en justifie savamment l’origine ; il nous est servi par son domestique, un Annamite aux gestes empressés.

De l’endroit où nous sommes, je ressens — au contraire de ce que j’éprouvai à Rolleboise — une impression canadienne, une impression de pays neuf : cette berge basse, ces pans de terre, ces bois embroussaillés où se distinguent de lourdes branches grises. N’étaient les tours d’une abbaye lointaine, je me croirais sur les bords sauvages d’un de nos lacs, où le travail de l’homme ne s’est pas encore appliqué. Ce paysage délaissé ne rappelle-t-il pas des coins de l’Abitibi qui ont conquis Naggiar ?