Page:Montpetit - Souvenirs tome II, 1949.djvu/66

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ronnés de cheminées prennent l’allure d’une armée d’opérette commandée par un général géant : le gratte-ciel. L’aspect est joyeux au grand soleil ; mais, à la pluie, triste à mourir.

La vie nous emporte. L’évolution économique nous prend et nous désagrège. Non que la fortune enfante le mauvais goût ; mais la poursuite de l’or captive d’abord les volontés et les plie à son empire. Nous vivons en Amérique où l’on a monnayé même le temps. Produire en abondance, en quantité plutôt qu’en qualité, voilà l’aboutissement du siècle des machines.

L’art est devenu le moindre de nos soucis. Il n’apparaît même pas comme un luxe. L’art est une futilité, l’apanage peu enviable de quelques rêveurs, qui mourront pauvres. Il a le tort immense de ne pas payer son homme. Tels de ceux qui ont connu le succès sonnant disent volontiers, en voyant passer un artiste : c’est un garçon de talent. Ce qui est un blâme. L’art, chez nous, est une anomalie, et l’artiste, un excentrique, charmant d’ailleurs et bon garçon, très agréable à recevoir, mais un être à part, comme dans cette comédie où il y avait tout de même un beau vers. S’il s’enrichit, ce