Page:Montpetit - Poissons d'eau douce du Canada, 1897.pdf/92

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
71
LE BROCHET

Parvenu à l’age de trois à quatre ans, le brochet offre une chair plus estimée que celle de la perche : surtout lorsqu’il peut manger quand il le veut, à sa réfection. Plus jeune, on lui trouve trop d’arêtes.

Comment pêche-t-on le brochet ? En principe, si on le pêche à la ligne, il faut se défier avant tout de ses dents, qui couperaient immanquablement une ficelle ordinaire, aussi bien qu’une empile de Florence ou de crin. C’est à la corde filée, ou mieux encore, au fil de laiton fin et recuit qu’il faut recourir.

Il mord à n’importe quel appât, mort ou vif. Nous en avons capturé au ver rouge, à un morceau d’étoffe rouge même. Cependant, il donne de préférence sur le poisson vif, la grenouille, des quartiers d’oiseau, sur des morceaux de lard.

Chacun sait si nos femmes d’habitant ont soin de leurs couvées de poulets, d’oies et de canards, qu’elles appellent leurs élèves.

Elles ont raison dans leur sollicitude.

Car, ayant, toutes ou presque toutes, des familles nombreuses, il leur faut beaucoup de lits. Chez l’habitant, en général, on couche sur la plume. À la fille qui se marie, on donne son lit de plume : et quel lit, bon Dieu ! on se met à quatre pour le brasser. Or c’est de l’oie et du canard qu’on tire la meilleure plume.

La chair de l’oie et du canard figure également bien aux noces.

Jugez alors des inquiétudes de la fermière qui voit un jour partir ses oisons et ses canardeaux à la nage. Ils ne vont pas loin, du premier essai : elle les retrouve tous au retour. Le lendemain, même bonheur ! Mais, au troisième jour, lorsqu’elle les compte, de trente qu’ils sont partis, il n’en est revenu que vingt-huit. Horreur ! désolation ! Toute une nuit sans sommeil dans la maison. À Beauharnois, et surtout à Châteauguay, on dit que ce sont les huahuarons qui les dévorent. Erreur ! Pour un volatile avalé par les batraciens, il en est des centaines qui s’en vont au réfectoire du brochet.

Encore quelques notes vagues sur le développement de ce terrible poisson, et je passe au maskinongé, qui en est le type le plus perfectionné.

Le brochet maillé (the chain pickerel), le brochet de ruisseau (the brook pickerel) ou le brochet nain ou serrané, the pound pickerel, esox cypho, et bien d’autres espèces en voie de formation attendent de futurs observateurs de leurs évolutions.

Le poisson que j’appelle brochet maillé est très rare dans le fleuve Saint-Laurent : il se trouve un peu au Labrador et dans les lacs distribués sur les flancs des Laurentides ; très abondant vers le pays des fourrures ; se croise fréquemment dans l’Ohio, dans certains tributaires du Mississipi, avec le petit cordé et même avec le brochet nain, deux espèces en voie de formation, dans les selects au-dessus des multiples essais aspi-