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LE BROCHET

Voulez-vous des preuves de sa puissance d’absorption, de sa voracité engouffrante, vous en trouverez à toutes les pages des naturalistes d’Europe et d’Amérique qui ont parlé de lui. Je commence par le premier venu sans choix aucun, dont je ne sais pas même le nom, et voici ce que je lis : « La dénomination du brochet en France, dans les anciens temps, était Lucius, nom de forme latine duquel sont dérivés chez nous les noms de Luce et de Lucie, et chez les Italiens, celui de Lucia et de Luzzo ; il est merveilleux de voir comme le brochet a figuré souvent dans les anciennes armoiries. Celui qui faisait figurer les brochets dans son blason, voulait évidemment donner à croire que lui aussi était un terrible personnage capable de mordre vigoureusement. On s’est mis bien fort en frais d’imagination pour trouver l’étymologie de ce mot lucius, sans jamais en arriver à une interprétation satisfaisante. Ne pourrait-on pas attribuer ce nom à l’éclat de ses écailles dont Blanchard parle avec admiration ?

« Les écailles du brochet, dit-il, en grande partie enveloppées par la peau, sont assez petites ; aussi n’en compte-t-on pas moins de cent vingt à cent trente dans la plus grande longueur du corps et vingt-cinq à trente rangées dans sa hauteur. Ces écailles, détachées et observées sous un grossissement, paraissent excessivement jolies : elles offrent une certaine ressemblance avec celles des perches, ressemblance très frappante, malgré l’absence de toute dentelure au bord extérieur qui est arrondi. Elles ont leur bord basilaire partagé en quatre ou cinq larges festons, leurs stries concentriques partout semées et régulières : et elles ne présentent ni sillons ni canalicules. Un fait singulier de l’écaillure du brochet, c’est que plusieurs des écailles de la ligne latérale qui court en droite ligne, manquent de conduit de la mucosité, et que des écailles ayant ce conduit, et ainsi le caractère ordinaire des écailles de la ligne latérale, se trouvent disséminées au-dessus ou au-dessous de cette ligne où les conduits muqueux font toujours défaut chez les autres poissons. »

Rares survivants de la dernière cinquantaine, qui de nous n’a connu N. Laforce, l’ami sincère des bons vivants de la Bohême québecquoise, le fondateur du « Chien d’or » ? Je me fais un honneur de l’avoir eu pour ami et de garder sa mémoire dans le meilleur coin de mes souvenirs. De son premier état de typographe il lui était resté un attachement des plus touchants pour tous ceux d’entre nous qui tenions une plume à des titres divers. Je l’entends encore, au beau milieu d’un dîner des Vingt et un que payaient les doublons d’Espagne, m’apostropher solennellement comme suit :

— Croyez-vous. Monsieur Montpetit, qu’il existe des brochets de six pieds de longueur et du poids de quarante livres ?