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LE BROCHET

Vers la fin de juin, les herbes marines qui tapissent les hauts fonds des rivières fournissent déjà un abri aux gardons et aux autres poissons blancs contre la dent de leur vorace ennemi, qui ne peut les y poursuivre par crainte de s’empêtrer dans des lacets inextricables. C’est le temps du frai de ces petits poissons. La nature protège ainsi leur faible race et leur permet de se multiplier.

Que fait alors le brochet ? Il se rend dans un de ces endroits herbeux qu’il sait alors abondamment peuplés : il se tient immobile comme un soliveau. Les cyprins curieux qui avaient fui à son approche ne tardent pas à se montrer. Ils arrivent par centaines, puis par mille et plus. Une troupe joyeuse se joue autour du monstre. Il attend sans bouger ; les imprudents se rapprochent encore. Les voilà massés dans ses eaux, à sa portée. Vlan ! d’un coup de queue, il bondit sur la troupe qui jaillit en étincelles, mais il en a englouti une abondante bouchée qu’il va broyer dans les eaux plus profondes, loin de la vue des chasseurs.

Nous attribuons l’espèce d’attraction qu’exerce le brochet sur les ables et autres petits poissons, à la mucosité sécrétée par des ouvertures rondes qui garnissent sa mâchoire inférieure et remontent même sur les préopercules. Les ables sont comme enivrés par cette liqueur et perdent toute prudence, toute crainte, toute idée de danger.

Bien vrai il est que le brochet peut endurer la faim très longtemps, mais non moins vrai est-il que le manque de nourriture le fait dépérir dans la proportion que sa gloutonnerie le fait engraisser lorsqu’elle est satisfaite.

Le tableau suivant de sa croissance en donnera une idée :


SA PLUS GRANDE LONGUEUR


Brochet de 1 an
de 8 à 10 pouces
bro"chet de 2 "
de 12 à 15 po"
bro"chet de 3 "
de 18 à 25 po"
bro"chet de 6 "
de 37 à 40 po"
bro"chet de12 "
de 48 à 60 po"


Songeons avec cela que cet animal est susceptible de vivre plus d’un siècle peut-être ? Calculez la quantité de victimes qu’il aura pu faire pendant une aussi longue existence !

Ici, je crois devoir reproduire un entrefilet de journal, que je trouve si acoquinant que je me ferais un reproche d’en priver la curiosité publique :