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LE DORÉ

en mars, suivant la température. Un doré est apte à se reproduire avant d’avoir atteint le poids d’une livre. Ses œufs sont petits, d’un jaune clair, et se comptent par deux cent ou trois cent mille, même chez les plus jeunes adultes. Sans cette fécondité exceptionnelle chez nos poissons d’eau douce, le doré disparaîtrait bientôt, car il laisse tomber ses œufs à l’aventure, sur des sables toujours agités auxquels ils adhèrent et qui souvent les charrient par rouleaux à la grève. Après de fortes tempêtes les rives des lacs en sont parfois radicalement ourlées. Que de poissons sont friands de caviar ensablé ! Le doré lui-même n’est pas le dernier à la curée : pourquoi aller chercher des omelettes ailleurs lorsqu’on en a de si bonnes chez soi ?

De la croissance du doré on ne sait pas grand’chose. Les auteurs ne s’accordent pas sur ce point, non plus que sur la durée de leur existence. Il en est qui prétendent qu’il ne vit pas plus de dix ans. Cela me paraît douteux, pour le grand doré en particulier, qui pèse parfois plus de vingt livres. Tout au plus serait-ce admissible pour le sauger ou petit doré qui dépasse rarement le poids d’une livre et demie et une longueur de dix-huit pouces.

Les deux espèces principales que nous venons d’indiquer se subdivisent en plusieurs variétés qu’il serait fastidieux de décrire et que négligent la plupart des auteurs. Le petit doré, canadense ou sauger, se distingue de son aîné par sa couleur et l’infériorité de sa taille, par la petitesse de ses yeux, par un nombre moindre de rayons épineux à la seconde dorsale ; par ses joues plus écaillées et plus dentelées, par trois rangées de points noirs courant sur les dorsales, et l’absence d’une large tache noire à la base de la première dorsale. Les cœca pylorique sont petits, s’étendent sur des longueurs irrégulières, au nombre de pas moins de quatre, quelquefois de sept, pendant que les autres espèces et sous-espèces de dorés américains n’en comptent que trois. La tête du petit doré est plus comprimée, le museau plus étroit que chez le grand doré.

La pêche en grand du doré, pour des fins commerciales, se fait sous la glace, dans le temps du frai, ou quelques jours seulement avant la ponte. Il est surtout bon à manger lorsqu’il est chargé d’œufs. Les lois d’Europe ne paraissent pas le protéger à cette saison-là. On en voit la preuve dans le fait que plusieurs millions de livres d’œufs de dorés, capturés dans Astrakan, sont annuellement exportés en Grèce et en Turquie. Cependant, comme je l’ai dit plus haut, le nombre des dorés ne paraît pas diminuer dans ces contrées. Il s’en fait des pêches énormes, au moyen de filets de fond à poches : on les entasse à la corde, comme nous faisons ici du bois de chauffage, et il croit et se multiplie quand même, pendant qu’au Canada, en entourant d’une touchante sollicitude les œufs roulants de ce poisson, pendant une quinzaine de jours ou un mois, nous le voyons