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LE DORÉ

En Amérique, le doré habite la région des grands lacs ; il se répand vers le nord jusqu’au pays des fourrures, où plus d’une fois il a fourni une ressource précieuse aux trappeurs et aux premiers explorateurs ; il peuple également le haut du Mississipi, les États de l’ouest, le bassin du fleuve Saint-Laurent, les États du nord ; mais il fait défaut dans la Nouvelle-Angleterre et les États du sud de l’Atlantique. Le lac Pepin, dans le Minnesota, est célèbre pour la quantité prodigieuse de ce poisson qu’il nourrit. Il se réunit aussi en troupes immenses, à la jonction de la rivière Chippewa avec le Mississipi, sous des chariots de bois qui s’y échouent en hiver. Autrefois très abondant dans le bassin du fleuve Saint-Laurent, surtout dans les grands lacs, il diminue sensiblement depuis ces dernières dix années. Une pêche aveugle, sans méthode ni raison, a causé un gaspillage pénible, qui menace de ruiner nos eaux les plus riches, dans un avenir prochain, si la loi n’y met promptement ordre par les moyens les plus rigoureux.

Tous les témoins entendus devant la commission fédérale de 1892 s’accordent à dire que la cause principale de la diminution du doré est due à l’usage de la seine. L’un des plus importants et des mieux renseignés sous tous rapports, M. John Lang, a dit : « À Sarnia, il se fait un grand massacre de jeunes dorés, sur les rives où il abonde le plus, entre trois milles au-dessous et cinq milles au-dessus de la ville, par les pêcheurs à la seine. Ils vendent par contrat tout le poisson qu’ils prennent, grands comme petits ; ils amènent des quantités de dorés de moins d’un quart de livre ; de fait, cet engin funeste fait rafle de tout sur son passage. Toutefois, je ne parle ici que du doré ; durant les mois du printemps, ils seineront des tonnes et des tonnes de ces petits dorés de qualité n° 1, de une livre et moins, et comparativement peu de la classe n° 2, de une livre et plus ; la proportion étant de quatre pour un. Ces poissons sont capturés de bonne heure, au printemps, jusqu’au commencement d’août. Il n’existe pas de mode de pêcher plus destructif et plus ruineux pour le doré, lorsqu’il est reconnu que c’est ici l’endroit de tout le Canada, en y comprenant les rives du lac Sainte-Claire, le plus fréquenté par ce poisson.

Dans la province de Québec, ce n’est pas tant à la seine qu’à la navigation et aux défrichements, usines, barrages, chaussées, etc., qu’on doit attribuer la décroissance numérique du doré : le fleuve en est à peu près dépeuplé ; les lacs des cantons de l’Est sont décimés, et la seule partie de son domaine restée intacte, dans nos limites provinciales, se trouve dans nos principales rivières du nord et de leurs tributaires. Nous avons là des réserves précieuses jusqu’ici à peu près hors d’atteinte, mais que nous devons entourer à l’avance de sages précautions. Il y a trente ans, dans un petit lac voisin de la rivière du Milieu, affluent du Saint-Maurice, j’ai capturé, avec un hameçon émoussé, esché d’une couenne de lard, une