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LES POISSONS

février et mars, lorsque le poisson est gonflé d’œufs, qu’il est vraiment bon à manger. En Autriche et en Hongrie, les gourmets n’y touchent que quand les œufs sont à maturité. Sur les marchés des grandes villes, le poisson est exposé dans de vastes bassins en bois entourés de dalles de pierre. On n’accepte pas comme frais un poisson qui n’est pas vivant. Vous indiquez du doigt le doré qui vous convient ; aussitôt, il vous est amené par l’épuisette. C’est bien le poisson qu’il vous faut ; on le saigne sous vos yeux en lui fendant la queue. Vous l’emportez à votre cuisinière qui — sans autres recommandations — le fera rôtir, s’il pèse de une à deux livres, le fera bouillir, s’il pèse de trois a quatre livres, et le servira avec une simple sauce au beurre, le farcira, s’il pèse cinq livres et plus, le fleurira enfin de fines herbes et le servira chaud. Quand vous aurez du doré ainsi apprêté, croyez que je ne refuserai pas une invitation à dîner de votre part.

— Un verre de sauterne, s’il vous plaît ?

Ses domaines ? Ils sont presque aussi étendus que ceux de la perchaude ; il n’y a qu’a en retrancher la vallée du Rhin, la Suisse et la France, qui persistent à lui fermer l’entrée de leurs eaux ; la France, probablement parce qu’il est d’origine allemande, et qu’elle craint sa voracité pour ses fritures.

Cependant, Cuvier et Valenciennes ayant une opinion différente, il ne me reste qu’a m’incliner, en les citant : « Le sandre n’a pas la vie si dure que la perche ; quand il est renfermé il ne mange point, et on a même de la peine à le conserver dans des vases, de sorte qu’il est difficile à transporter vivant. C’est probablement ce qui a empêché que l’on essayât de multiplier chez nous un poisson qui donnerait à nos tables une ressource nouvelle et des plus agréables. La tentative mériterait bien d’en être faite ; notre climat n’aurait rien qui s’y opposât, car il habite et plus au nord et plus au midi. »

Quant à la Suisse et au bassin rhénan, j’ignore d’où viennent leurs préjugés contre ce beau poisson. Il manquait aussi en Angleterre, lorsque, en 1878, le duc de Bedford y fit transporter d’Allemagne, vingt-huit sujets de plus de deux livres chacun, qui ont merveilleusement prospéré depuis. Il est si abondant en Hongrie, en Russie, en Autriche, qu’en hiver, on les y entasse par monceaux énormes sur les rives des lacs et des cours d’eau. Il s’en fait une consommation locale considérable, à l’état frais ; et salé, mariné, ou fumé, en y ajoutant ses œufs salés ou en caviar, il est l’objet d’un commerce d’exportation important en Grèce et en Turquie, où des carêmes fréquents et certaines prescriptions du Coran poussent à la consommation du poisson, d’une façon particulière.