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LE DORÉ

Traçons plutôt son portrait en quelques coups de plume. Sa forme est plus allongée et plus arrondie que celle de la perche, qu’il distance énormément par la taille ; chez les petits dorés la tête mesure environ le quart de la longueur du corps ; les mâchoires sont garnies d’une bande étroite de dents en velours aiguillonnée d’une rangée irrégulière de dents coniques et pointues de diverses dimensions ; la langue est lisse, le préopercule est arrondi, finement dentelé dans sa partie montante. Les deux dorsales sont séparées : la première est composée de quatorze épines, la seconde d’une épine et de vingt-deux rayons mous ; on compte deux épines et onze rayons mous à l’anale. La caudale est un peu fourchue. Le Dr H.-E. Sauvage en donne la description suivante : « Le sandre est loin d’égaler la perche pour la richesse de sa coloration. Tout le dessus du corps est d’un gris verdâtre qui, sur les flancs et sur le ventre, prend insensiblement une teinte blanchâtre, argentée, uniforme avec des reflets dorés ; on voit sur les flancs des taches nuageuses de couleur brunâtre, et chez les individus jeunes, des bandes verticales brunes ; entre les rayons des dorsales sont des taches noires qui se dessinent sur un fond grisâtre, transparent, et forment, par leur ensemble, des bandes longitudinales. Les individus jeunes sont d’une teinte plus pâle que les adultes, et souvent d’une couleur cendrée. Ce poisson atteint une longueur de plus de trois pieds et un poids de vingt à trente livres. »

Ses droits ? Je les trouve sur ma table, sous ma fourchette, sous celle de mes amis, car c’est un morceau d’ami, autrement fin-de-siècle que l’esturgeon, le petit sterlet, tombé à l’andouille — soit dit entre nous — tout près de l’usine de Pasteur. C’est de la chair, ça ! Qui en a jamais vu de plus blanche ? Personne ! De plus ferme ? Personne. De meilleur goût au palais, de plus savoureux effritement, d’inglutition plus aisée, de sieste moins gênante, de laisser passer plus comme il faut ? Il n’est pas de chair de poisson dans nos rivières qui vaille d’être comparée à celle du doré, sous ces rapports.

Ici, je vois de nombreux amis d’Ottawa, de Montréal, de Trois-Rivières, de Saint-Jean, de Québec même, — quoique le doré y soit plus rare, — qui lèvent la main contre moi, en me disant sur un ton de protestation :

« En vous laissant emporter par votre enthousiasme pour le doré, ne craignez-vous pas d’être injuste à l’égard de la truite commune, de l’achigan, du maskinongé, et surtout du huananiche, qui n’a pas de rivaux sur nos tables, pas même le saumon ? »

Le doré peut avoir des rivaux, mais il n’a pas de supérieur comme comestible. Si vous n’êtes pas de cet avis, c’est que vous l’aurez mangé dans de mauvaises saisons, en été ou au printemps, immédiatement après le temps du frai, ou autrement, prenez-vous-en à votre cuisinière. C’est en