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DES POISSONS

parni lesquels figurent la grenouille, la barbotte, le brochet, le maskinongé, et surtout le canard sauvage.

Le temps de l’éclosion pour l’œuf de la truite, s’étend de soixante à cent jours et plus ; s’il devait être aussi long pour la perchaude, eu égard au nombre de goinfres friands de ses œufs, ce poisson aurait bien vite disparu de nos eaux ; mais aussi, s’il n’avait pas autant d’ennemis, au nombre d’œufs qu’il produit, nos eaux douces en seraient infestées, au point que nous pourrions répéter le mot du Gascon : « Dans la Garonne, il n’y a pas d’eau, c’est tout poisson. » À tout hasard, nous croyons qu’il n’est pas d’une sage économie politique, ni d’une saine économie domestique, de prohiber la pêche de ce poisson, au Canada, en aucun temps de l’année ; surtout de la prohiber au printemps, à la seule saison où sa chair est vraiment bonne et saine, où toute notre population, tant des villes que des campagnes, s’en fait un régal à bon marché.

Nous avons dit qu’entre les plus voraces des gloutons avaleurs d’œufs de perchaude, figure le canard noir, qui nous arrive au printemps, juste à temps pour manger ces omelettes servies à point. Sus au canard, alors ! ordonnez une levée de fusils, d’un bout à l’autre du pays ! mort à celui qui se nourrit des germes de la vie ! Calmez-vous, s’il vous plaît : rentrez votre colère. Si Dieu a mis cet appétit dans l’estomac du canard noir d’Amérique, il avait ses raisons économiques que nous ne saurions trop admirer. Vous êtes-vous jamais demandé comment il se fait que la perchaude, assez peu ingambe de sa nature, a pu franchir des hauteurs de trois à quatre mille pieds, comment elle s’est transportée dans des lacs sans issue, comment elle a pu s’emparer d’un empire aquatique, en Amérique et en Europe, plus vaste que tous les empires et les royaumes du monde réunis ? Elle n’a pas l’élasticité du saumon, non plus que de la truite, qui leur permet de gravir des chutes de dix à quinze pieds de hauteur, à pic : elle n’a pas les capacités reptatoires de l’anguille, qui franchit, sur terre, à l’aise, des espaces mesurant plusieurs milles, d’une eau à une autre : c’est, au contraire, un poisson bourgeois, content de vivre en famille dans des eaux faciles ; c’est un voyageur allant à pas carrés, se déplaçant sans efforts. Mais alors, comment se fait-il qu’il y ait tant de perchaudes répandues sur un si vaste territoire de notre globe ?

— Comment ?

— Eh bien, demandez-le au canard, à ce goinfre, ce mangeur effréné d’œufs de perchaudes. S’il daigne vous répondre, il vous dira : « Je les avale ici en embryons, pour les transporter ailleurs, dans des lacs qui n’ont pas de ces beaux poissons-là ! je suis le semeur de perchaudes du bon Dieu. »

De fait, ces œufs sont gélatineux, gluants, et adhèrent quelquefois aux pattes et aux plumes des canards. À part cela, la digestion précipitée de