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LA PERCHAUDE


TEMPS DU FRAI


À l’approche de l’hiver, à l’instar des autres percoïdes, la perchaude se retire, par troupes nombreuses, dans des fosses profondes où elle conserve une certaine vivacité de mouvement, sans cependant se mettre en quête de nourriture. Sur le milieu du jour, et par un beau soleil, si vous percez un trou dans la glace, et si vous faites glisser jusqu’à elle un hameçon esché d’une chair rouge, d’un véron ou d’un lombric bien vivant, elle y mordra avec appétit ; ce qui n’empêche pas que son estomac ne recèle pas une parcelle d’aliment. En mars et avril, les œufs commencent à grossir dans les ovaires, se produisant souvent au dehors sous la forme d’une framboise jaune striée de rouge. Les glaces rompues charrient, des lacs et des rivières au fleuve, et du fleuve à la mer ; le soleil pénètre de ses rayons les eaux les plus profondes ; c’est l’heure du festin de noces pour la perchaude : elle quitte ses quartiers d’hiver pour se rapprocher des rives herbeuses ou caillouteuses — elle est assez indifférente sur ce point — pour y gober des vers, et y déposer, ou plutôt y accrocher ses œufs, qui se déploient en minces rubans d’un tissu délicat, d’un à deux pouces de largeur et de cinq à six pieds de longueur, flottant comme des banderoles au gré du courant. Les auteurs ne s’accordent pas sur le nombre d’œufs que produit la perchaude. On en a compté 25,000 dans une perchaude de deux ans, et plus de 150,000 dans une perchaude pesant environ deux livres. La perchaude est polygame : un mâle entretiendra de dix à quinze femelles dans son sérail, sans en être incommodé, sans que la paix domestique en soit troublée. C’est au temps du frai que la chair de la perchaude est la plus délicate et la plus recherchée. Après cela, jusqu’en septembre, sa chair est plus molle et moins substantielle. Dans les eaux stagnantes, elle est exposée à prendre les vers, en été, une espèce de trichine qui lui ronge la base de la dorsale, pas dangereuse peut-être, mais assurément fort dégoûtante. De règle générale, en eau trouble ou calme, la chair de la perchaude n’offre une nourriture à la fois saine et délicate, que durant les saisons froides du printemps et de l’automne.

Dès que les œufs sont déposés et fécondés, ils se gonflent en quelques heures, pour éclore dans les six, sept ou huit jours, suivant le degré de température des eaux. Différente de l’achigan et du crapet, qui surveillent leur nid et protègent leurs petits, la perchaude laisse là ses œufs à l’abandon, exposés à la voracité d’un nombre incroyable de goujats,