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LA PERCHAUDE

Vous aurez lu quelque part, dans des auteurs assez accrédités, qu’il existe en Laponie des perches mesurant plus de trois pieds de longueur, et, partant, pesant de vingt-cinq à quarante livres. J’aime à vous dire que je n’y crois pas plus qu’au fameux brochet de Manheim, pesant deux cent soixante-quinze livres, ou à peu près — une carcasse montée en bois et en fil de laiton, sur une longueur de fantaisie, suspendue en ex-voto dans une église de l’endroit, et portant au cou un collier rétractile en cuivre doré, présent gracieux de l’empereur Frédéric Barberousse au dit brochet, pour des causes ignorées. Dieu merci, ces niaiseries-là ne passent pas en Amérique.

La perche commune habite la mer d’Azof, les eaux saumâtres de la mer Caspienne, de la mer Baltique ; et partout où les eaux sont pures et saines, elle offre un aliment de premier choix. En Asie, vers le bassin de l’océan Pacifique, une espèce de percoïde du même genre, mais d’une différence prononcée quant à la couleur, se pêche par endroits, surtout sur les côtes de la Tartarie et de la Chine.

Dans l’Amérique du nord, la perche commune habite les eaux du bassin de l’Atlantique, depuis le Labrador jusqu’en Géorgie ; on la trouve dans la région des grands lacs, dans le bassin du fleuve Saint-Laurent, et dans les sources du fleuve Mississipi, serpentant à travers le Wisconsin, le Minnesota, l’Ohio et l’Indiana. Observons, en passant, qu’elle fait défaut dans la partie inférieure du fleuve Mississipi, et sur le versant ouest des Alleghanys, tout autant que dans le double bassin américain et asiatique de l’océan Pacifique. Au sujet de ces délimitations du territoire occupé par la perche commune, en Amérique, nous essaierons, en parlant du frai, d’expliquer son développement dans une direction déterminée, et son immense étendue.

Après de longues discussions sur la diversité ou l’unité de la perche commune d’Europe et de la perchaude d’Amérique, la plupart des savants ont fini par reconnaître que c’est le même animal, des deux côtés de l’Atlantique, légèrement modifié par l’habitat, c’est-à-dire, la qualité des eaux, le degré de température, l’alimentation. Il est admis que des accidents peuvent déterminer certains changements chez les poissons, sans pour cela changer leur nature. Il n’est pas rare de rencontrer trois ou quatre variétés de truites dans un même cours d’eau, suivant l’altitude, l’amplitude ou la profondeur des eaux qu’elles habitent ; et, cependant, elles sont toutes assurément de la même famille. Pour être dépourvus d’yeux, les poissons des cavernes n’en sont pas moins des truites, des gardons, des silures ou d’autres espèces connues de la science et du soleil.

À notre avis, la perche commune est également commune à l’Europe et à l’Amérique. Qu’il en existe des variétés de taille, de couleur, de conformation même, nous l’admettons, pour en avoir pêché au nord et au