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LE HUANANICHE

De belles grèves à nids ont été détournées, mais on vante toujours celles de l’île Ronde, de la Grande-Décharge, de quelques rapides de la Mistassini, et de la chute du Diable, dans la Péribonca.

Quant à faire une bonne pêche, on est toujours sûr de faire une bonne pêche, dans la Grande-Décharge ; aussi, en croisant la cinquième chute de la Mistassini, après un long portage, ou en remontant la Péribonca jusqu’au lac Tchitogama, à cinquante milles de Roberval. Mais, du reste, il y a, toujours, ici et là, quelque bon coup de ligne à faire dans les dix-huit tributaires du lac Saint-Jean. La moyenne du poids d’un huananiche est de trois livres à trois livres et demie ; un huananiche de sept livres mérite révérence et chapeau bas.

Ce préjugé comportant qu’au Labrador il n’existe de huananiches que dans les eaux du lac Saint Jean est complètement déchu. Les amateurs américains se sont aventurés fort avant dans le pays, sur les pas des arpenteurs et des explorateurs officiels du gouvernement ; de nombreux lacs peuplés de huananiches ont été découverts aux sources des grandes rivières de l’est et du sud, de manière à établir le fait que le Labrador est la vraie patrie de ce vaillant poisson, pendant que le Maine, le Nouveau-Brunswick, la Suède même n’en possèdent que des colonies.

Le saumon arrive par l’Atlantique, par le golfe Saint-Laurent, remonte dans des rivières familières jusqu’à quelques centaines de milles de hauteur, puis il retourne invariablement à la mer. Le huananiche, lui, reste dans ses lacs, sur le grand plateau qui se déverse par cent dalles diluviennes dans les abîmes de la mer et dans la coupe à la fois gracieuse et tumultueuse du lac Saint-Jean.

Rien de plus facile pour le huananiche que la descente à la mer par la pente si douce des fleuves ; mais il n’a pas même l’air d’y songer. Au contraire, il se renfonce dans les profondeurs cristallisées du faîte des eaux, parce qu’il s’y sent chez lui, qu’il y trouve son domicile.

Je laisse à de plus savants que moi le soin de discuter la question de savoir lequel du saumon d’eau douce ou du saumon de mer est primordial, est l’aîné des deux. Je me borne à dire que celui-là doit être le premier qui reste toujours chez lui et n’a pas besoin de deux domiciles pour trouver le bonheur. Quoi qu’il en soit, par leur forme, leur couleur, leur constitution, leurs mœurs, ils sont assurément deux frères ; tous deux sont décorés également, à cette différence près que le salmo salar ne porte qu’une croix sur sa poitrine, et que le huananiche en porte deux.

M. Chambers et ses amis pêcheurs, écrivains et chroniqueurs des États-Unis et du Canada, ont été excessivement galants à l’endroit des Canadiens-Français, en les gratifiant de leur orthographe dans l’épellation du nom « ouananiche », et je les en remercie infiniment ; mais est-il à