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LES POISSONS

une simple indication qui se traduit par : Voyez ! ou Il est là ! En y ajoutant iche, qui veut dire petit, nous avons : Voyez le petit ! Il est là le petit ! expression d’admiration spontanée jaillissant du cœur aux lèvres du sauvage, à la vue de son poisson favori escaladant les chutes, promenant sa dorsale comme une bannière au-dessus des mousses crémeuses des remous, sillonnant d’un éclair les sombres profondeurs des eaux ou happant au vol l’imprudente libellule venue pour l’agacer.

Aujourd’hui, l’appellation indigène de ce poisson tend à se généraliser aux États-Unis comme au Canada, dans les clubs comme sous la cabane du sauvage, dans la littérature comme dans le patois du coureur des bois. Bientôt, il absorbera le sebago et le schoodic de l’État du Maine. Quant à la légende du land-locked salmon et du dwarf salmon de la Suède et du Nouveau-Brunswick, elle s’efface devant l’étude et l’observation ; elle se glisse au coin du feu, parmi les contes de Noël, pour amuser les enfants.

Du temps où l’on croyait que le huananiche était un poisson particulier au lac Saint-Jean, voici ce qu’on en racontait, en fumant la pipe. À une époque reculée des époques géologiques le Saguenay communiquait de plain-pied avec le lac Saint-Jean, lorsqu’un bouleversement souterrain isola tout à coup le lac de son avenue naturelle, interceptant par un barrage de rochers infranchissables toute communication avec la mer. Le saumon qui s’y trouvait au moment du cataclysme y resta prisonnier.

De là ce nom de land-locked salmon que les Anglo-Saxons ont donné au huananiche, d’après des préjugés dont une foi robuste d’esprits plus forts, mieux nourris, fait maintenant litière.

Des explorations contemporaines multipliées dans la région du Labrador ont agrandi considérablement le domaine de ce salmonidé et ont démontré que dans presque tous les lacs qu’il habite, au Canada, aux États-Unis, sauf en Suède peut-être, partout il a libre accès à la mer, que s’il reste dans les eaux douces des montagnes, c’est qu’il y est retenu par ses mœurs, ses goûts, ses appétits ou ses instincts. Le land-locked salmon est une expression injustifiable, qu’on laisse aller à vau-l’eau, avec l’ouananiche, le schoodic, le sebago et le dwarf salmon. Cette dernière appellation supposerait un être difforme ou dégénéré, pendant que le huananiche est un animal complet, d’une admirable perfection de forme, d’une force et d’une beauté supérieures même à celle du salmo salar.

Les portraits qu’en ont tracés des artistes et des écrivains habiles, comme MM. J. G. Aylwin Creighton, d’Ottawa ; Chambers, Goode, Hallock, Haggard, Garman et autres amateurs, sont là pour le prouver, et au delà.

Ici, nous passons le crayon à M. Chambers, l’auteur du livre si richement documenté que je me plais à citer. Si nous différons, lui et moi, sur