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DES POISSONS

les grizzlys, voire même la panthère noire. On nous citait dernièrement des chats qui valsaient en cadence au son du biniou. Quel fut leur professeur de danse ? Vous allez croire que ce fut quelque vieille fille ? Pardon, ce fut un vieux garçon.

Mais lorsqu’on vient nous dire que les poissons qui habitent les eaux, le plus souvent hors de notre portée, de nos atteintes, de notre voix, peuvent être familiarisés au point de manifester leurs affections, reconnaître leurs amis, répondre à leur nom, se prêter à leurs caresses, venir manger dans leurs mains, un sourire d’incrédulité distend nos lèvres malgré nous. Et pourtant, depuis Pline l’Ancien jusqu’au docteur Warwick[1], depuis le serranus anthias de la Méditerranée jusqu’aux carpes de Fontainebleau, contemporaines de François Ier, et qui vivent encore, les faits se multiplient pour attester de l’intelligence et de la sensibilité affectueuse des poissons. Citons-en plutôt quelques extraits, en commençant par l’autorité de Pline.

« Un pêcheur toujours vêtu du même habit, dit le naturaliste romain se promenait dans une petite barque pendant plusieurs jours de suite, et chaque jour, à la même heure, dans un espace déterminé, auprès des îles et des écueils des côtes de l’Asie Mineure, il jetait aux anthias, très communs en ces endroits, quelques-uns des aliments qu’ils préfèrent. Pendant quelque temps, cette nourriture était suspecte à des animaux qui, armés pour se défendre bien plutôt que pour attaquer, doivent être plus timides, plus réservés, plus précautionnés, plus rusés que les autres habitants des mers.

« Cependant, au bout de quelques jours, un de ces poissons se hasardait à saisir quelques parcelles de la pâture qui lui était offerte : le pêcheur l’examinait avec attention comme l’auteur de son espoir et de ses succès, et l’observait assez pour le reconnaître facilement. L’exemple de l’individu plus hardi que les autres, n’avait pas d’abord d’imitateurs ; mais au bout de quelque temps, il ne paraissait qu’avec des compagnons dont le nombre augmentait peu à peu, et enfin, il ne se montrait qu’avec une troupe nombreuse d’anthias qui se familiarisaient bientôt avec le pêcheur, et s’accoutumaient à recevoir leur nourriture de sa main.

« Ce même pêcheur, cachant alors un hameçon dans l’aliment qu’il présentait à ces animaux trompés, les retenait, les enlevait, les jetait avec vitesse et facilité dans son petit bateau ; mais il avait le plus grand soin de ne pas saisir l’anthias imprudent auquel il devait la bonté de sa pêche, et dont la prise aurait à l’instant mis en fuite tous ceux qui ne s’étaient avancés vers le bateau qu’en imitant sa témérité et en se mettant en quelque sorte sous sa conduite.

  1. Pisciculteur émérite.