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DES ENGINS DE PÊCHE

Faisons-nous petits, très petits, cachons-nous derrière un buisson, un arbre, un obstacle quelconque, et observons ; on dit que c’est une bonne manière d’apprendre. Que voyons-nous ? À chaque insecte qui tombe, ou qui seulement rase la surface de l’eau, la truite s’élance, et de sa dent impitoyable en fait une proie assurée. Ses mouvements sont tellement soudains, si rapides, que vous croiriez qu’elle n’a pas le temps d’examiner la proie qu’elle avale. Erreur ; essayez d’attacher un insecte par la patte et de le jeter à l’eau, vous verrez combien il sera respecté, et comme autour de lui les autres seront gobés. Il aura beau se débattre d’une façon engageante, la rusée commère ne s’y laissera prendre que bien rarement… et encore !

Il semble tout simple que le pêcheur, en voyant ce manège, se fasse ce raisonnement : puisque la truite aime les insectes, je vais lui en offrir ; puisqu’elle voit clair, je monterai mon hameçon sur une florence très fine. C’est parfaitement raisonné. Mais la truite se tient le plus loin qu’elle peut des rives découvertes ; il faut donc faire arriver sa mouche ou son insecte, là où est la truite ; il faut donc le lancer, et là est la difficulté. On a réussi une fois à mettre l’insecte au milieu de l’eau, très bien ! La truite n’était pas là ou n’a pas mordu, le courant a peu à peu ramené la ligne au bord ; il faut la lancer de nouveau ; mais le mouvement brusque nécessaire pour y réussir déchire l’esche ou la fait vaciller sur la pointe de l’hameçon. Au troisième coup l’insecte s’échappe ou se brise… c’est à recommencer.

Telle est la cause de l’invention des mouches artificielles. Celles-ci sont solides, elles ne se débattent pas aussi bien sur l’eau qu’un insecte vivant, mais le pêcheur y supplée par son habileté et son coup de poignet, et surtout… elles réussissent. C’est le principal. Mais il faut noter, en passant, que — semblable en cela à beaucoup d’animaux à poil et à plume — le poisson est avide de ce qui lui semble nouveau. Qu’un objet un peu éclatant tombe à l’eau ou voltige à sa surface, poisson de surface il obéit à son instinct, il y vient, et le plus souvent il se jette avidement dessus. C’est le secret de la réussite de la cuiller, du tue-diable.

Il faut donc se procurer des insectes artificiels. On peut en acheter, mais le plus simple est d’en faire, et c’est si simple, que tout le monde peut et doit y réussir, car l’insecte artificiel est une imitation très libre de la nature, et les meilleurs sont presque toujours ceux qui ne ressemblent à rien, et que les Anglais nomment fancy (fantaisie). Ils sont de couleur bien vive ; quelle qu’elle soit, la truite les aime. C’est bien ! Comme elle les gobe, elle est gobée, et tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles !

Ce serait tout un art à apprendre, s’il fallait faire des insectes vrais : l’expérience a prouvé que les poissons n’étaient pas si forts en histoire