Page:Montpetit - Poissons d'eau douce du Canada, 1897.pdf/45

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
25
DES POISSONS

leur plus ou moins foncée, plus ou moins jaune de la robe, s’assortissait à la couleur des eaux, des fonds, et surtout à l’importance du couvert. Dans les ruisseaux des montagnes qui coulent sous les sombres massifs du feuillage, la truite commune devient la truite noire, ses taches s’oblitèrent, sa couleur est uniformément brune et enfumée. Dans les torrents ouverts aux rayons du soleil, le même poisson devient, en quelques générations, la truite blanche, la truite jaune, la truite dorée, etc., etc.

Lacépède a fait une étude spéciale de la coloration des poissons. Après avoir mêlé, avec une prestigieuse manipulation, l’eau de source, l’eau de mer, la goutte de rosée, le suc des plantes, des aliments du poisson, de l’huile, du sang, aux fluides ambiants, à la lumière, aux rayons du soleil, aux réfractions des glaces polaires, à la transparence des mers tropicales, pour en faire une teinture pénétrante, aux tons les plus chauds, les plus vifs dont il revêt les poissons dans une armure plus chatoyante que les plus belles toisons, plus éclatante que les plus beaux plumages, le grand naturaliste conclut :

« Pendant que le poisson jouit, au milieu du fluide qu’il préfère, de toute l’activité dont il peut être doué, ses teintes offrent aussi quelquefois des changements fréquents et rapides, soit dans leurs nuances, soit dans leur ton, soit dans l’espace sur lequel elles sont étendues. Des mouvements violents, des sentiments plus ou moins puissants, tels que la crainte ou la colère, des sensations soudaines de froid ou de chaud, peuvent faire naître ces altérations de couleur très analogues à celles que nous avons remarquées dans le caméléon ainsi que dans plusieurs autres animaux ; mais il est aisé de voir que ces changements ne peuvent avoir lieu que dans les teintes produites, en tout ou en partie, par le sang et les autres liquides susceptibles d’être pressés ou ralentis dans leur cours. »

Mais la mort arrive, et Lacépède en décrit les effets sur le poisson, dans le même style abondant et animé :

« Lorsque le poisson est hors du fluide qui lui est propre, ses forces diminuent, sa vie s’affaiblit, ses mouvements se ralentissent, ses couleurs se fanent, le suc visqueux se dessèche, les écailles n’étant plus ramollies par cette substance huileuse ni humectées par l’eau, s’altèrent ; les vaisseaux destinés à les réparer s’obstruent, et les nuances dues aux écailles ou au corps même de l’animal changent et souvent disparaissent, sans qu’aucune nouvelle teinte indique la place qu’elles occupaient. »

C’est Agassiz qui a le mieux apprécié et décrit les changements que la coloration subit chez les salmonidés. L’habile naturaliste a reconnu, non seulement la puissance des milieux, mais surtout celle de l’âge et du sexe ; ses tableaux, tracés de main de maître, sont demeurés inimitables.

Parmi les poissons de mer nous avons observé le cotte-scorpion ou