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DES ENGINS DE PÊCHE

dans ce milieu infernal, et toujours aux aguets, déployait une force et une rapidité formidables pour atteindre sa proie qu’elle voit tourbillonner au milieu de l’écume. Elle s’élance la gueule ouverte, les dents prêtes, et coupe d’un coup la moitié du poisson, par où elle l’attrape, laissant le reste à l’hameçon du pêcheur désappointé.

De toutes ces déductions, et de nombreux essais, est né le tue-diable.

Mais quelque pêcheur malheureux ayant vu sans doute son tue-diable emporté ou mis en pièces par les rochers ou les racines de la rive, aura inventé la cuiller (fig. 97).

Figurez-vous la partie creuse d’une cuiller à dessert, coupée près du manche. Percez un trou en haut pour y passer une corde filée et une grappe d’hameçons, pendante sur la cuiller même. Percez un second trou à la pointe de la cuiller, et mettez-y une seconde grappe d’hameçons, pendante cette fois dans le vide. Attachez à 0m,20 au-dessus de la cuiller, deux bons et solides émérillons. Faites que la cuiller soit brillante comme de l’argent ou de l’or, et lancez dans la cascade.


Fig. 97. — Cuiller.

À l’instant même l’eau, frappant irrégulièrement dans la cavité de la cuiller, lui imprime un mouvement de rotation extrêmement rapide, quoique irrégulier. Les hameçons disparaissent, emportés par ce tourbillon, et le tout roulant sur lui-même figure un joli poisson d’argent emporté vertigineusement par les bouillons de l’eau furieuse. La truite n’y regarde pas de si près… d’ailleurs, elle n’en a pas le temps. L’eau la presse, la presse… il faut se hâter ! Elle s’élance d’un bond énorme, englobe la machine brillante, et la lutte commence entre le pêcheur et le pêché, deux animaux auxquels, en courant, le cœur bat aussi vite à l’un qu’à l’autre. C’est une bataille de 30, 40, 50 minutes, lutte à toutes jambes, emportée, à travers les ravins, les pierres, les taillis, par l’autre qui fuit à tire-d’aile et que le flegmatique cuillerier ne lâche point !…

Enfin la paix se conclut, et tous deux, harassés de fatigue, s’arrêtent… Le plus petit entre dans le panier du plus gros en attendant mieux, et la toile baisse sur cette tragédie, toute prête à se relever pour une autre scène, sur le même théâtre.