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LES POISSONS

Les aborigènes du Canada pêchaient à la nasse fabriquée en osier mais le plus souvent ils avaient recours à des loutres apprivoisées pour s’approvisionner de truites. Après avoir muselé leur loutre dressée de longue main à cette pêche, ils la lâchaient dans le lac voisin, d’où elle ne tardait pas à rapporter une première proie, suivie bientôt d’une seconde, puis d’une troisième ou plus, jusqu’à ce que le sauvage jugeât à propos de récompenser le travail de la hardie pêcheresse, en lui abandonnant un poisson pour sa réfection. Encore aujourd’hui, la pêche à la truite ne se pratique pas autrement au Japon, à cette différence près que la loutre y est remplacée par le cormoran.


Connaissez-vous Gifu ? Gifu est une préfecture et une station de chemin de fer, à une heure de Nagoya, la capitale de la province d’Owari. On y fabrique des crêpes, des lanternes et des parasols ; on y trouve des spécimens de ces petits chiens japonais, « chiens » si recherchés en Europe ; mais, avant tout, on y élève des cormorans et on y utilise le talent de ces oiseaux en faisant de la capture de la truite un sport et un objet de commerce pendant tout le mois de juillet. C’est l’époque où le « haï », petite truite blanche, à la chair exquise, se montre et remplit les nombreux cours d’eau qui arrosent le pays du soleil levant. On le trouve partout, ce haï, à Kioto comme à Kobé, dans les hôtels comme sur la table des riches Japonais ; mais, quoi qu’on ait essayé, il n’y a qu’une école de dressage des cormorans, et c’est à Gifu seulement, dans le Nagara Kawa, que les amateurs peuvent s’offrir le luxe d’une pêche fantastique. Pas de préparatifs, d’ailleurs, pour le touriste. Le décor ne change pas et, quel que soit le jour auquel on se présente, on peut être sûr de la représentation.

Peu à peu la nuit se fait, les barques s’illuminent avec des lanternes de couleur ; un à un viennent s’échouer les pêcheurs à côté de vous, et, à la lueur d’un grand bivouac allumé à terre, dans chaque bateau de pêche, deux hommes procèdent à la toilette des oiseaux. Il y en a vingt-quatre par bateau dans un grand coffre. Un des hommes extrait le cormoran par le cou et, pendant qu’il le tient ainsi suspendu, il le caresse ou plutôt le chatouille de façon que, sans aucune résistance ni mouvement, l’oiseau se laisse attacher à la patte la corde qui, le tenant sous le ventre, vient se terminer par un anneau destiné à arrêter le passage du poisson de la gorge à l’estomac. L’opération totale dure une vingtaine de minutes.

Pendant ce temps, sur une potence mobile, à l’avant de chaque bateau, s’allume un brasier de bois et de paille qui jette sur la rivière des lueurs intenses mais inégales. Les hommes sont à leurs postes, les cormorans à l’eau courant de-ci de-là, agités, nerveux, au milieu des flammèches qui tombent du brasier. Quatre pêcheurs seulement par bateau. Celui de