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LA TRUITE COMMUNE

transporte dans sa bouche. Après cette première opération commence le creusage du sillon qui se fait aussi au museau, à deux ou trois pouces de profondeur, et sur une longueur variant suivant les lieux ou la quantité d’œufs à déposer.

Le sillon étant creusé et en bon état, la femelle fait sa ponte en quelques instants, et dès que le mâle l’a honorée, ils se hâtent tous deux à qui mieux mieux, du museau, de la caudale et de l’anale, de couvrir les œufs d’un gravier fin, sans le tasser, afin de permettre à l’eau et à la lumière, leurs seuls incubateurs, d’y pénétrer à l’aise. Le plus habituellement, les femelles sont suivies de plusieurs mâles, petits en général, dont plusieurs accourent pour féconder et parfois pour dévorer les œufs qui vont être pondus.

Si un sillon ne suffit pas, on en creusera un, et même deux autres à côté, suivant le besoin. Car, la quantité d’œufs varie selon le poids de la femelle. Une femelle de deux livres portera de huit cents à un millier d’œufs, une femelle de quatre livres, de quinze cents à deux mille œufs, pendant que l’humble truite de bruyère, blottie dans une ornière, dans une rigole, ne pesant qu’une demi-once, produira de cinquante à soixante œufs, aussi fière toutefois d’être mère que la grande dame des lacs, sa congénère, habitant les limpides réservoirs de la montagne.

Au Canada, le temps du frai commence à la mi-octobre, et dure jusqu’à la fin de janvier, un espace de temps d’environ trois mois, durant lequel la loi couvre ce poisson d’une protection beaucoup plus qu’effective. Le temps de l’éclosion dépend absolument de la température de l’eau. D’après M. Aimsworth, les œufs écloront dans cent soixante-cinq jours, à une température de 37° ; dans cent trois jours, à 41° ; dans quatre-vingt-un jours à 44° ; dans cinquante-six jours, à 48° ; dans quarante-sept jours, à 50° ; dans trente-deux jours, à 54° ; etc. D’après Seth Green, les œufs éclosent en 50 jours, à 50° ; tout degré plus élevé ou plus bas faisant une différence de cinq jours en plus ou en moins.

La truite frayant dans des eaux claires et peu profondes, soit dans nos lacs ou nos étangs bien clos, soit dans les cours d’eau des montagnes, des observateurs ont pu pénétrer dans sa vie intime et surprendre les secrets de ses amours. Cela nous a valu la splendide découverte de la reproduction artificielle par Gehen et Remy, deux pauvres pêcheurs français sans instruction qui n’en figurent pas moins au rang des grands naturalistes et qui seront à jamais bénis pour le bienfait dont ils ont doté l’humanité. Ce sujet a mérité l’attention de plus d’un poète, qui en ont tiré de délicieux tableaux, entre autres celui-ci, que je traduis de M. James W. Miles, un savant américain :

« Pour faire sa cour, le mâle prodigue les attentions les plus galantes et les soins les plus délicats. On le voit aller et venir au-devant de sa