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LA TRUITE COMMUNE

tiennent-ils compte des quantités consommées en certains endroits par les sauvages, qui en font un massacre déplorable en les gaffant sur les frayères dans l’opération de la ponte.

Ce poisson vaut la peine d’être protégé entre tous contre le braconnage, et un jour viendra qui n’est pas loin où on déplorera sa destruction à laquelle nous assistons froidement. On nous dira que les sauvages n’ont, par certain temps, aucun autre moyen de subsistance. Eh ! c’est bien à cause de cela qu’il importe de leur apprendre à le ménager, surtout en leur faisant respecter les femelles sur les frayères et en leur donnant l’exemple.

Le journal la Presse, de Montréal, publiait le 23 mars 1895, l’article que voici :


« Nous avons déjà, en maintes occasions, parlé des dégâts qui se commettent dans les lacs au nord de Saint-Jérôme. Un de nos confrères, le Nord, a lui aussi jeté le cri d’alarme, prédisant aux colons de cette région qu’ils détruisaient follement, pour un vil gain, ce qui pourrait, dans la suite, devenir pour eux une source inépuisable de richesses. La loi actuelle, qui est très sage, défend de pêcher la truite, du 1er octobre au 1er mai. Pendant les mois d’octobre, novembre et décembre, ce poisson est occupé à frayer, et il est évident qu’on ne devrait pas le prendre à cette époque, si l’on veut en conserver et augmenter l’espèce. Une truite d’une demi-livre a ordinairement 500 œufs ; celles d’une à deux livres, environ 1,000 et 2,500 œufs. Il est donc de toute nécessité de ne pas troubler ce poisson quand il fraie et dépose ses œufs.

« Après la période de la fraie, la truite reste comme épuisée par les efforts qu’elle a faits pour propager l’espèce. Sa chair devient flasque et inférieure en goût. Quelle différence avec la truite que vous prenez en mai, juin et juillet ! Après qu’elle a jeté ses œufs son appétit est vorace ; la nature demande qu’elle répare le temps perdu ; elle mord à tout appât et c’est alors que les colons la pêchent à travers la glace, pêche qui, entre parenthèse, est sagement défendue par la loi des pêcheries.

« Des commerçants peu scrupuleux, déguisés en « habitants », sont le tour des concessions, voyageant la nuit, afin d’éviter d’être découverts, et achètent tout le poisson qu’ils peuvent trouver. Ils encouragent les gens à pêcher, les assurant que la marchandise est d’un débit facile, et que toute la truite qu’ils pourront prendre leur sera payée comptant. Avec un pareil système, il n’est pas surprenant que les plaintes pleuvent de tous côtés. On nous informe que chaque hiver il se prend ainsi des milliers de livres de ce délicieux poisson, et que depuis le commencement du carême surtout, certains hôteliers, à Montréal, se sont approvisionnés de truite prise pendant le temps défendu. Ajoutons-y la quantité énorme