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LES POISSONS

côté qu’ils viennent. Pendant et après des pluies douces, sans trop de vent, voilà le moment par excellence pour prendre la truite.

Il faut éviter un ciel très clair, à moins qu’il n’y ait assez de vent pour soulever de fortes rides, et même alors, par un jour limpide, on prendra peu de truites. Au contraire, un temps sombre succédant à une nuit lumineuse est de bon augure pour remplir le panier, car les truites sont presque aussi timides dans une nuit éclairée par la lune que dans le jour : aussi, pendant ces nuits-là, elles ne chassent pas ; si donc le lendemain le temps est couvert, la truite aura faim, se croira en sûreté et mordra âprement. Lors de la saison froide (hors l’hiver), pêchez seulement au milieu du jour ; dans la saison chaude, le matin et le soir. La soirée, en général, vaut mieux que la matinée, sans doute parce que les truites ne mangeant pas du tout pendant la chaleur, elles ont faim le soir ; au contraire, si elles ont chassé librement pendant la nuit, elles sont moins friandes de l’amorce, le matin. L’heure qui précède la disparition du crépuscule, et celle qui la suit, si la nuit est très sombre, sont les plus favorables ; c’est le moment, d’ailleurs, où les plus gros poissons commencent leur tournée.

Ayant avant tout pour principe la patience, la persévérance, ne vous découragez jamais ; car il n’est pas de jour qui n’ait son heure favorable, son heure où la truite donnera ; d’ailleurs, un travail persistant dompte l’esprit et renforce les muscles. Le vent du sud, et spécialement du sud-est, a l’étrange effet d’assombrir la surface de l’onde et rend ainsi fructueuse la pêche dans les eaux claires ; le vent du sud-ouest est le plus favorable ensuite. En somme, nous pouvons dire que, sauf les vents du nord-est et de l’est, tout vent promet des chances de réussite.

Faute de vent, nous dûmes nous résigner, Paul et moi, à pêcher au fond, avec un plomb et deux hameçons : nous eûmes un succès ; nos esches ne plongeaient pas à deux pieds de profondeur qu’elles étaient déjà saisies et tiraillées en tous sens, et le plus souvent nous retirions deux truites à la fois, ce qu’on appelle une ramée. Encore novice à cette pêche, j’y prenais le plus grand plaisir, pendant que mon compagnon la traitait avec dédain. Je comptais les pièces ; je soupesais les plus belles ; à dix heures, j’annonçais déjà cinq douzaines.

— Tu comptes cela ? me dit Paul, mais tu n’en emporteras pas une seule.

— Et pourquoi pas ?

Parce que, ce soir, nous en prendrons de plus belles, de deux à trois livres, en plus grand nombre qu’il ne nous en faudra pour nous charger tous les trois.

Revenus vers quatre heures à la campe, nous y prenons une bouchée et repartons tout de suite vers le théâtre des émotions de Paul, où nous arrivons un peu avant six heures.