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LES POISSONS

Barnwell dit, de bonne plume : « Il n’y a qu’une manière de prendre la truite, c’est en la pêchant à la mouche ; quoique j’aie entendu dire que des braconniers ou des pêcheurs au baquet fassent usage de vers, minusses, et même du frai de ce poisson pour le capturer, je n’ai jamais voulu y croire. Ces infamies ne sont pas punies de mort ni même d’emprisonnement pour la vie, mais la législature étudie sérieusement la question, et ces pénalités seront sans doute introduites prochainement dans nos statuts. »

Il y a d’innombrables règles applicables à la pêche à la truite, et d’innombrables exceptions à chacune d’elles ; ni le pêcheur ni le poisson ne sont infaillibles.


« La truite est un gobe-mouche, dit de la Blanchère, d’une adresse et d’une voracité qui déconcerte la raison. Tout ce qui se laisse aller à toucher les ondes est bon à prendre, aussi ne s’en fait-elle pas faute ; elle bondit, elle glisse, elle retourne, elle évolutionne, en un mot, sans relâche : à chaque fois, ses longues dents s’entr’ouvrent pour happer une proie qu’elle ne manque jamais, et qui, sous la forme d’une mouche, semble indigne d’aussi formidables crochets. Mais tout fait ventre, dit le proverbe, et la truite le pratique à merveille.


Il ne faut pas croire cependant que la truite passe sa vie à gober : non. Quand elle est repue, elle se repose, et passe dans un doux far niente le temps chaud du milieu de lajournée. Elle fait ses deux repas comme un bon bourgeois, un le matin, un le soir. Elle ne se lève pas matin ; il faut que le soleil soit levé lui-même, qu’il ait permis aux insectes de sécher leurs ailes humides de la rosée matinale ; alors, les imprudents s’élancent… et la truite est là, comme la Parque fatale, ne manquant jamais son coup… Mais le pêcheur y est aussi, et qui crut prendre est pris. Elle fera ainsi la chasse jusqu’à dix ou onze heures, suivant que le soleil sera plus ou moins chaud, puis elle ira se reposer, et recommencera le soir, deux heures avant le coucher de son ami le soleil bienfaisant. À la nuit elle ira dormir ou bien faire encore quelquefois un petit tour à tâtons, au fond de l’eau, quand elle n’a pas assez dévoré : ce que le pêcheur met à profit en lui tendant des lignes de fond qui rapportent les plus belles pièces.


En hiver, dans nos climats rigoureux, sous le toit de glace qui la sépare du soleil, la truite conserve les mêmes habitudes régulières. Le matin et le soir on la pêche au ver ou à la chair rouge, de quelque provenance qu’elle soit, pourvu qu’elle soit d’un rouge appétissant. De nuit, il faut escher la ligne de fond d’un poisson vif, soit d’une petite truite soit d’un minusse quelconque.