Page:Montpetit - Poissons d'eau douce du Canada, 1897.pdf/351

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
326
LES POISSONS

dire, à la maison. Car, tous sont nés là, et ils y reviennent invariablement. Ce morceau ou cette pièce d’eau bien gravelée pour le lit maternel, avec une fosse tranquille ménagée à côté pour le berceau et la voix de la chute pour endormir les enfants, c’est la vraie patrie du saumon, qu’il aime de tout son cœur. Ai-je tort ? Ai-je raison ? Pour le savoir, il faudra attendre le jugement d’autres observateurs ; mais je crois que les saumons, aussi attachés qu’ils le sont aux eaux paternelles, doivent se composer de familles diverses qui se reconnaissent au sang, aux mœurs, aux habitudes, et que les mères suivent ceux qu’elles ont adoptés parmi les petits, et surtout le père de leurs enfants. Puisque la colonie a une patrie, les familles, les membres de la colonie n’ont-ils pas un foyer dans cette patrie ?

Nous hasardons cette idée, pour avoir constaté chez les outardes, l’oie du Canada, qu’il existait dans les bandes des familles distinctes avec des enfants adoptés, protégés tout particulièrement par un seul mâle et une seule femelle. On allait, on volait de conserve, d’un lieu à un autre, mais arrivés et posés sur un terrain, chacun faisait marmite à part et souvent des disputes, des batailles sanglantes même avaient lieu d’une famille à une autre.

Les oies du Canada sont des oiseaux migrateurs. Nous pouvons mieux observer leurs mœurs, parce qu’ils sont dans l’air limpide, sous un ciel éclairé. Mais voyant les saumons aussi fidèles à revenir dans leurs eaux que les oies le sont à revenir dans l’air et sur la terre qu’elles affectionnent, ne pourrait-on pas induire de là, que s’il est des mères saumons qui se montrent d’ici, delà, au milieu des smolts novices, c’est que leurs entrailles sont sensibles à certains groupes plutôt qu’à d’autres, dans la colonie ?

Les lignes suivantes, que j’emprunte à M. Mowat, garde-pêche à Campbellton pendant plus de quarante ans, viennent à l’appui de mon opinion.


DE LA GÉNÉRATION DU SAUMON


« En ce qui a trait aux rivières Ristigouche et Métapédia et au saumon qui les fréquente, ma longue expérience de quarante années me met en position d’affirmer — ce qui est généralement admis d’ailleurs — que chaque rivière à saumon a sa population propre, les saumons se distinguant facilement par leur grosseur, leur couleur, et le gout de leur chair différant dans chacune d’elles. Et ce qui est propre à confirmer cette opinion, c’est que, s’il en était autrement, le saumon, qui recherche l’eau douce pour frayer, se serait installé dans l’une ou l’autre des deux rivières