Page:Montpetit - Poissons d'eau douce du Canada, 1897.pdf/350

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
325
LE SALMO SALAR ou SAUMON COMMUN

heures enivrantes du calme, au foyer, dans le tête-à-tête et par l’éducation des enfants. À quels dangers, à quels travaux ne s’expose-t-on pas volontiers, lorsqu’on attend pour récompense l’amour pur de la famille ?

Un auteur américain doué d’une plume élégante s’étonne de ce qu’à certains endroits de pêche à saumon, dans la Betsiamites, où il a jeté sa ligne, toujours durant le mois de juin, il n’a capturé que des mâles. Je lui en donne ici l’explication, en homme marié et père de dix-sept enfants, s’il vous plaît ? Peut-être M. Barnwell était-il vieux garçon ? Alors, le malheureux ne nous comprendra pas ! Tant pis pour lui, comme auteur d’un livre ichtyologique charmant, puisqu’il devrait avoir d’autres produits de sa valeur non moins charmants !

Mais les pères, les chefs, les guerriers — appelez-les comme bon vous semble — sont rendus là-haut et tout va bien ! Là-haut : c’est souvent fort loin, à quelque vingt, cinquante et cent milles de l’eau salée. Il faut du temps pour s’y rendre, car les obstacles sont souvent en nombre. Des messagers sont alors expédiés en grande tenue — en costume de noces — aux retardataires, anxieux du sort de leurs bien-aimés, partis pour établir le foyer en eau douce.

Il faut vous dire que la robe du saumon est différente, suivant qu’il monte de la mer ou qu’il redescend des fleuves. Son dos est toujours bleu d’acier, ses flancs argentés avec des taches noires, irrégulières disséminées comme au hasard sur la tête et les opercules. La surface du corps est quelquefois, même presque toujours, nuancée de nuages bleuâtres, obscurs, plus ou moins visibles et fugaces après la mort. Mais en parure de noces, le ventre s’empourpre, ainsi que la base et la pointe de toutes les nageoires, excepté la dorsale et les pectorales.

Porteurs de bonnes nouvelles, nos émissaires circulent et sont applaudis dans tous les rangs des stationnaires. Sans se reposer un seul instant, ils ordonnent les préparatifs de l’ascension générale. Les premiers ils donnent l’exemple, pendant que les mères au dernier rang ou sur les flancs protègent les petits contre les dangers extérieurs.

Un chef s’élance à la vue des grilses étonnés ; un second chef suit le premier, puis un troisième. Les mères, fières de tels exploits acrobatiques, poussent leur progéniture à les tenter et devant leur hésitation elles font elles-mêmes le saut qu’elles réussissent aussi bien que les mâles.

Vous vous êtes peut-être apitoyé en voyant un saumon manquer son coup et retomber dans la fosse. Pitié perdue ! C’était de l’admiration qu’il vous fallait donner à ce poisson. C’était une mère qui apprenait à son petit à faire le sommersalt et qui ne voulait pas le lâcher avant qu’il l’eût appris.

Les petits ne tardent pas à réussir, et à trois semaines de là, vers la fin du mois d’août, toute la colonie est rendue au poste, ou pour mieux