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LE SALMO SALAR ou SAUMON COMMUN

OU VA LE SAUMON

Où va le saumon après la ponte, entraîné inconscient, à demi-mort, charrié, emporté, précipité vers la mer par le même courant qu’il bravait et surmontait quelques mois auparavant ? Va-t-il bien loin de la rivière animée, ou s’enfouit-il tout auprès ? Je l’ignore, mais sans aucun doute, il va droit au buffet toujours si bien garni de la Nature, puisque à quelques mois de là, à six mois au plus, il revient aux mêmes lieux, si grand, si gros, si dodu, qu’on a peine à le reconnaître. C’est un peu vers la fin de mai que les saumons surgissent des bas-fonds amers pour s’aventurer dans les eaux douces, mais c’est en juin et août qu’a lieu la grande remonte. Chaque marée en amène un convoi jusqu’aux pieds des premières chutes, où ils se reposent quelque peu avant d’en tenter l’escalade.

L’alose remonte les rivières vers la même époque que le saumon, mais elle n’y reste que quelques jours, le temps d’y déposer ses œufs, puis elle retourne grand train à la mer, pendant que le saumon prolonge son séjour en eau douce jusqu’aux mois de novembre et décembre. Il en est même qui y passent l’hiver. Le saumon n’est pourtant pas pressé de faire son nid, puisqu’il ne fraie que sous les glaces. D’où vient cette différence ?

Pourquoi le saumon est-il si pressé de quitter la mer, au petit printemps, la mer où il nage dans l’abondance, pour arriver dans nos rivières où il ne vit que d’amour et d’eau froide ? Répondant à ces questions, certaines gens vous diront que le saumon fuit les phoques, les requins, les marsouins, les esturgeons, les pourcils et d’autres grands voraces ; d’autres prétendront qu’ils sont chassés par des insectes parasites dont ils ne peuvent se débarrasser qu’en eau douce. J’avoue ne pouvoir apprécier la valeur de ces réponses, mais à ceux qui veulent qu’il profite des grandes eaux du printemps pour remonter des rivières dont les sécheresses de l’été leur interdiraient l’accès, jusqu’à leur berceau ou leur lit nuptial, je n’ai qu’à leur montrer ces masses de saumons stationnant pendant l’été au pied de chutes élevées, se baladant dans les remous, se berçant dans les rapides ou s’ébattant joyeusement dans les fosses, en attendant qu’un orage bienfaisant vienne gonfler les eaux et leur permettre de poursuivre leur course vers le but désiré, ce qu’ils font lentement, par étapes, sans se presser. Du reste, nombre de saumons adultes attendent les mois d’été pour attaquer l’ascension des rivières, seuls, ou en compagnie des grilses.