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LES POISSONS

Un îlot verdoyant, qui sépare ces rapides en deux, offre un charmant endroit de campement, et une grève unie, à large marge, facile au pied du pêcheur à la mouche. La brise de mer en chasse les moustiques et rafraîchit les chaudes journées d’été.

Au-dessus des seconds rapides, à cinq milles de son embouchure, la rivière se divise en deux branches, l’une allant à l’est, l’autre à l’ouest ; le saumon ne remonte pas la première, empêché qu’il en est par une chute imposante de près de cent pieds de hauteur qui en intercepte l’entrée ; mais il s’avance en rangs serrés dans la branche ouest. Renommé pour sa grosseur, le saumon y atteint le poids de soixante livres, et plus.

Ceux-là, dit-on, ne sautent pas à la mouche ; ils sont trop rusés pour se laisser prendre à un pareil leurre.

Les sauvages se réunissent près de la source de la Romaine ; ils y passent l’automne et une partie de l’hiver dans des cabanes solides et munies de tout le confort que leur paresse leur permet de se donner. Nombreux et variés sont leurs ustensiles de pêche, tous prohibés par la loi, et dont ils se servent pour ruiner les frayères.

En descendant vers le golfe, le produit des rivières au saumon se mesure au baril au lieu d’à la pièce, le poisson ne pouvant se conserver à l’état frais, vu l’éloignement des marchés. Rares sont les sportsmen qui vont faire la pêche au lancer à pareille distance. Au lieu de payer licence de pêche, les fermiers des rivières paient la somme de tant par baril au gouvernement, ou ne paient rien du tout.

On demandait, un jour, à M. Dufour qui pêchait dans la Corneille, une rivière comprise dans les limites de la seigneurie Mingan, dont personne n’avait les titres, à qui il payait des droits.

« À personne, répondit-il ; j’ai consulté de plus savants que moi à ce sujet, leur représentant que, d’un côté, le gouvernement veut avoir le montant de ma licence, que, de l’autre côté, M. Deniston prétend être le propriétaire de la rivière et avoir droit au loyer — et ces savants m’ont avisé de continuer de pêcher en attendant l’issue du procès, sans rien dire ni rien payer. C’est ce que je fais ; je mange l’huître, et je donne les écailles aux deux plaideurs. »

La moyenne du rendement des rivières à saumon, tributaires du golfe Saint-Laurent, entre Mingan et Saint-Paul, s’établit à peu près comme suit, d’après des notes recueillies en 1890.