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LES POISSONS

printemps, à l’entrée des rivières, quelques barils de montée, chaque baril contenant plus d’un milliard d’alevins, pour les déverser dans des lagunes, et les peupler ainsi, outre mesure. — Si rapide est la croissance de l’anguille, que ces alevins à peine perceptibles à l’œil nu, atteindront, à deux ans de là, le poids d’une livre, au moins, et se vendront avantageusement, sur les marchés, sous le nom de civelles.


Encore à propos d’anguille, M. Faucher de Saint-Maurice nous dit :

« Pendant plus d’un siècle et demi, l’anguille fut une des principales ressources de nos habitants, qui en prenaient des quantités prodigieuses, entre Trois-Rivières et Québec, et en 1646, le Journal des Jésuites rapporte que la seule pêcherie de Sillery en donna quarante milliers. Que devient aujourd’hui cette branche si importante d’un commerce jadis si lucratif ? Faute d’avoir été protégée l’anguille va diminuant de jour en jour. »


Il est bien vrai que la pêche à l’anguille, au-dessus de Québec, a grandement diminué depuis les premiers temps de la colonie, mais la cause doit en être attribuée aux défrichements, à la coupe des arbres le long des grèves, qui plongeant leurs racines dans les eaux prêtaient un abri favorable à ces poissons sournois, en même temps que de leurs branches tombaient sous le vent une masse de mannes, de chenilles, d’insectes dont l’anguille fait ses délices. Gourmande et rapace, elle fait bouchée de tout, de grenouilles, d’oisillons, d’écrevisses, de blanchailles, de cadavres, de charognes, qui deviennent de plus en plus rares sur nos rives défrichées et cultivées. Avec cela, la navigation, les manufactures, les écluses n’ont pas peu contribué à les chasser de cette partie du fleuve. Mais pour être disparue ou à peu près du haut du fleuve, elle n’en est que plus nombreuse au-dessous de la ville de Québec. Seulement, passé Rimouski, ou Betsiamites, en descendant, on ne fait que peu de cas de cette pêche. Le saumon, la morue, le maquereau, le hareng et le loup marin absorbent tous les soins et le temps des pêcheurs du golfe Saint-Laurent. En 1888, le rendement de la pêche à l’anguille, dans toute la division du golfe, n’a été que de $930, pendant que le Nouveau-Brunswick, à lui seul, en capturait pour une valeur de $162,000. Et cependant les eaux du golfe produisent et nourrissent autant d’anguilles que celles du Nouveau-Brunswick. Pour s’en convaincre, il suffit de voir la masse grouillante de montée dont l’embouchure des rivières est épaissie chaque printemps, attendant l’abaissement de l’eau pour remonter le courant et se distribuer dans les lacs, les marais, les étangs, voire même dans les savanes, où elles trouvent leur pâture. À l’automne, dès les premiers