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L’ANGUILLE

« Les anguilles une fois entrées dans les bassins ne cherchent plus à en sortir qu’elles ne soient adultes ; sans doute parce qu’elles y trouvent une nourriture qui leur plaît. — Une fois (c’était au printemps), le Pô devint à grossir plus qu’à l’ordinaire et à surmonter les digues des bassins, de manière qu’ils ne formaient plus ensemble qu’un grand lac. On craignait que la plupart des anguilles ne se fussent évadées ; mais l’événement ne justifia pas ces craintes : la pêche de l’automne suivant fut aussi abondante que celle des années précédentes.

« Le même instinct qui détermine les anguilles à se transporter dans les lagunes, aussitôt après leur naissance, et à y rester tant qu’elles sont jeunes, les sollicite d’en sortir, quand elles deviennent adultes. Et, quoique, par cette raison, il n’y ait aucun mois de l’année où quelques-unes d’entre elles ne tentent leur évasion, et où les pêcheurs qui les guettent, ne tentent de les surprendre, cependant, c’est en octobre, novembre et décembre qu’elles entrent pour l’ordinaire dans l’âge adulte, et que la grande pêche a lieu. Alors arrive l’époque des grandes émigrations qui ne s’effectuent que pendant la nuit ; encore faut-il que la lune ne soit pas levée sur l’horizon. Si la lune les surprend pendant qu’elles cheminent, elles s’arrêtent aussitôt et attendent la nuit suivante pour continuer leur marche. Mais quand les nuits sont entièrement obscures, orageuses, que le vent du nord souffle avec violence, et qu’il y a reflux de la mer, alors le nombre des anguilles voyageuses s’augmente considérablement.

« Les pêcheurs assurent que le feu ordinaire retient également les anguilles, et ils en ont l’expérience. C’est leur usage de pratiquer au fond des bassins de petits chemins bordés de roseaux par où passent les anguilles voyageuses, chemins qui les conduisent dans une espèce de chambre étroite également formée de roseaux dont elles ne peuvent plus sortir. Si les pêcheurs se font accompagner d’une lumière pour les prendre dans cette enceinte, celles qui n’y sont pas encore entrées s’arrêtent subitement ; mais elles continuent leur chemin, et vont s’emprisonner à leur tour, si les pêcheurs font leur opération dans l’obscurité. Quand un certain nombre d’anguilles s’est engagé dans ces défilés, il peut arriver que les pêcheurs n’en veulent pas davantage pour le moment ; alors ils se contentent d’allumer des feux à l’entrée, et les anguilles ne passent pas outre. Ce moyen d’arrêter les animaux pendant l’obscurité de la nuit, de les aveugler, et d’aller sur eux sans qu’ils songent à fuir, était connu, et l’on savait surtout s’en prévaloir pour prendre les oiseaux et les poissons ; mais on n’aurait pas imaginé peut-être que la lumière fût capable de produire les mêmes effets sur les anguilles.

« Ce sont donc les nuits totalement obscures qui favorisent leurs migra-