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L’ANGUILLE

En 1889, me trouvant à la « Pointe-aux-Esquimaux, » rasant la « Côte Nord » en mission spéciale, j’allais partir pour Natashquan, lorsque je mis la main sur un « prospectus, » un projet d’exploitation à toutes fins quelconques de l’île d’Anticosti. Ce prospectus, daté du 6 avril 1870, disait, entre autres choses :

« À peu de distance de la pointe sud-ouest existe de grands étangs d’eau salée où l’on pourrait établir les pêcheries du golfe Saint-Laurent qui s’approvisionnent de sel aux États-Unis ou en Angleterre ; car il est notoire que le sel des salines maritimes est supérieur au sel gemme pour la salaison des viandes et du poisson.

« Sur d’autres points de la côte sud, se trouvent des tourbières et des marais salins formés par les eaux des grandes marées, qui couvrent une étendue considérable de terrain. C’est dans ces marais que des sauvages de Mingan viennent pêcher l’anguille, dont ils vendent des quantités considérables aux navires américains, à des prix élevés, ce poisson étant reconnu d’excellente qualité, dans son espèce. »

Dans l’énumération des richesses latentes de l’île d’Anticosti, l’auteur du prospectus ne mentionnait qu’incidemment, presque à titre gratuit, la pêche à l’anguille dans les marais salins, puisque les Montagnais seuls s’en occupaient ; et pourtant, à mon avis, cette pêche promettait plus que toute autre industrie qui pourrait être exploitée dans l’île, avec ses ressources connues.

D’après les renseignements que j’ai pu obtenir de diverses sources accréditées, ces marais salins, peuplés d’anguilles, sont dans des conditions absolument identiques à celles des lagunes de Comachio, près de Venise, en Italie, dont les revenus se chiffrent annuellement par des millions de francs.


M. Faucher de Saint-Maurice, que la mort vient d’enlever dans la maturité d’un talent choyé par notre public canadien, a écrit une page sur ce sujet dans Tribord et bâbord :

« Nous devions quitter, dit-il, notre aimable compagnon, M. Gagnier, à la Pointe-aux-Bruyères, dont le phare est confié à sa garde ; mais avant de nous dire adieu, il avait tenu à nous faire lui-même les honneurs de son domaine, qui ressemble à une ferme modèle plutôt qu’à l’emplacement d’un phare. Nous sautâmes donc ensemble dans la baleinière, et bientôt nos vigoureux rameurs nous débarquaient sur l’étroite lisière de grève qui sépare la mer d’un petit lac d’eau douce. En parcourant cette partie de l’Anticosti, le voyageur rencontre assez fréquemment des lagunes peuplées d’anguilles. Elles sont creusées dans une vaste tourbière qui, d’après M. Richardson, s’étend le long des terres basses de la côte sud de l’île, depuis la Pointe-aux-Bruyères jusqu’à huit ou neuf milles de la