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LES POISSONS

De premier soin, le pêcheur asperge la masse frétillante, de plusieurs poignées de sel, qui ont pour effet de dégager les mucosités dont le corps des anguilles est couvert. Sous cette douche saline qui les brûle, les anguilles laissent échapper des cris de souris effrayées. Après cette opération, il suffit au pêcheur de se frotter les mains de sable, pour saisir sûrement les prisonnières, une à une, et les jeter à la volée, dans les sacs ou le tombereau destinés à les transporter au lieu de la salaison, si l’on encaque, de l’expédition en ville, si on vend le poisson à l’état frais.

Généralement ces barrières, barrages, gords ou bourdigues sont de construction grossière supportée par un cadre en fortes pièces de bois calées dans le lit du fleuve où elles sont assujetties par de lourdes pierres. Les premiers colons auront emprunté ce mode de pêche aux indigènes, comme ils ont fait de la pêche aux marsouins qui se pratique de nos jours, à l’île aux Coudres, à peu près de la même manière qu’au temps de Jacques Cartier. Notre dard à l’anguille est-il autre chose que le nigog des sauvages, un peu amélioré par la substitution du fer aux os et à l’ichory ou noyer dur dont étaient faites la lance et les branches de l’instrument des sauvages ?

Dès les premiers temps de la colonie, les Français donnèrent une attention spéciale à la pêche à l’anguille, qui fut, du reste, en plus d’une occasion de disette, une ressource alimentaire excessivement précieuse, pour ne pas dire suprême. Elle nous a radicalement empêchés de mourir de faim. Si les Romains honoraient les oies du Capitole pour les avoir sauvés d’un assaut, c’est bien le moins que nous traitions l’anguille, sinon avec respect, du moins… à la sauce la plus délicate possible.

Sur plusieurs points des rives du golfe Saint-Laurent et des îles si nombreuses de son vaste estuaire, des roches creusées par la nature en forme de cirque avec une seule passe ou goulot étroit ouvert vers le large, ménagent des pêches toutes faites qu’il suffit d’obstruer de quelques branchages entrelacés, en y réservant l’entrée d’un verveux ou d’un coffre, pour en retirer des profits considérables et faciles.

Ailleurs, vous aurez des étangs d’eau salée que recouvrent les fortes marées du printemps en y apportant la montée. Ces lagunes recèlent de grandes richesses qui pourraient être exploitées à peu de frais et dont, faute d’expérience, nous ne savons encore tirer parti. Mais puisqu’il faut que quelqu’un sème pour que quelqu’un récolte ; examinons les résultats obtenus à Comacchio de l’exploitation de lagunes à anguilles absolument identiques à celles que nous possédons en nombre dix fois plus considérable. L’idée sera là, elle germera, poussera, mûrira à son heure. Puisque nous sommes au temps des semailles, semons.