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LES POISSONS

« Vous prenez un fil de chanvre de trois à cinq pieds de longueur, que vous enfilez dans une forte aiguille. Choisissant de gros lombrics ou vers rouges, soigneusement vidés, une quantité suffisante, vous passez l’aiguille suivie du fil, dans le sens de leur longueur, jusqu’à ce que le fil en soit entièrement couvert. Vous lovez ensuite ce saucisson d’un nouveau genre, en anneaux de six à sept pouces, réunis par un lien que vous attachez au bout d’une ligne de trois à quatre pieds de longueur, jointe à une canne très courte et solide. Il va sans dire que cette pêche se sait toujours au falot ou à des feux allumés sur la grève.

« Du rivage ou du pont du bateau, vous laissez descendre le paquet de vers à quelques pouces dans l’eau, et vous attendez.

« Les anguilles attaquent les vers, que le fil intérieur empêche de se diviser ; le pêcheur sent-il quelques petites secousses, il relève vivement le paquet qu’il jette soit dans le bateau, soit sur le rivage, où il entraîne sa proie accrochée par les dents. Telle est la pêche à la vermée ou à la vermette, comme je l’ai vu faire, je le répète, il y a près de cinquante ans. »

La pêche à la foëne ou fouane se pratique en hiver, à travers la glace, sciée et coupée de longueur au-dessus d’endroits vaseux. La foëne est une fourchette à plusieurs dents plus ou moins pointues, mais toujours barbelées, ayant entre elles un espace d’un pouce à un pouce et demi.

Le pêcheur expérimenté se rend dans les anses vaseuses où l’anguille engourdie gît enlisée, pendant les mois d’hiver. Dès que la glace est brisée, il enfonce sa fourchette en foëne, fixée à une longue perche, jusqu’à un pied ou plus, dans la vase du lit du cours d’eau ; il tâte, il sonde patiemment, au hasard, à l’aveugle, à la chance, ne retirant l’instrument que s’il a senti le croquant de la chair vive… ou s’il a piqué une écorce, un copeau ou quelque vieux soulier.

Croyez bien que ce mode de pêcher fait naître plus de grimaces que de sourires, provoque plus de jurons que de bénédictions, et laisse plus de déceptions que de succès. Heureux le pêcheur qui, d’heure en heure, peut amener au jour un paquet de huit ou dix anguilles pelotonnées ensemble ; mais hélas ! ces bonnes aubaines du temps passé se sont de plus en plus rares, d’année en année, dans nos eaux.

En somme, au-dessus de Québec, la pêche à l’anguille la plus facile, la plus sûre et la plus fructueuse, est la pêche à la ligne de fond.