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LES POISSONS

les ides, les chevesnes, suivis bientôt par les silures, que viennent enfin rejoindre les dernières, mais non les moins âpres, les anguilles, qui sont l’objet principal de cette étude.

« Blottie dans la vase ou sous des crônes, l’anguille a passé la journée immobile, happant au passage des larves, de petits coquillages, plutôt propres à aiguiser qu’à satisfaire un féroce appétit. » Aussi, la nuit venue, se précipite-t-elle avec une sorte de fureur sur la pâture succulente que lui fournit la manne. Chose étrange ! les anguilles qui redoutent la lumière du soleil, voire même celle de la lune, sont attirées par la lumière des flambeaux ou des lanternes. On les voit s’ébattre avec un semblant de complaisance, dans l’espace éclairé, s’y dresser debout et vous regarder en passant, les curieuses ! s’y rouler en spirales, décelant, dans ce mouvement, leur ventre blanc ou jaune pâle à l’œil avide du harponneur : on dirait vraiment qu’elles jouissent de prendre ainsi, sous vos yeux, un bain de lumière. Les imprudentes !… C’est au sein du plaisir qu’elles viennent chercher la mort.

Vous savez donc que chacune de ces lumières aperçues du pont du bateau de la Compagnie du Richelieu, dans la direction de la rive sud, représente un falot, placé à la proue d’une embarcation légère, soit un canot creusé dans un tronc d’arbre, soit un bachot, une périssoire montés par une ou deux personnes, des hommes, des jeunes gens, des enfants, et même quelquefois, des femmes. Ces gens-là sont des habitants de la côte, qui, après les rudes travaux du jour, se sentent encore assez dispos pour passer une partie de la nuit à la pêche à l’anguille, les uns armés d’un dard imité du nigog des sauvages, les autres tendant une ligne de fond, parfois pêchant à soutenir, et quelquefois, mais rarement aujourd’hui, pêchant à la vermée.

Par des nuits chanceuses, un bateau ou canot de pêche rapportera de cinq à six douzaines d’anguilles et trois ou quatre silures, nommés improprement, ici, des barbues.


Dans le comté de Soulanges, entre le Coteau-du-Lac et les Cèdres, le fleuve, très rapide au large, s’est creusé, par endroits, dans une rive alluviale, de profondes échancrures, des retraites calmes, où ses vagues tourmentées là-bas, au large, viennent, comme des danseuses essoufflées, se reposer nonchalamment — dans la lente promenade d’un remous — des secousses, des girations échevelées du tourbillon des rapides.

Par les beaux jours d’été, au soleil couchant, du fond de ces anses, se détachent de petites barques à fond plat, lourdes, dures à la manœuvre, mais, en revanche, sûres et solides, poussées par deux ou quatre rames, suivant qu’elles portent un ou deux pêcheurs. On leur donne le nom de chaloupes, mais celui de canots leur conviendrait mieux.