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L’ANGUILLE

La production de l’anguille, pour tout le Canada, en 1895, a été de :

xxxxxxxAnguilles Valeur
909,270
livres
$54,556
9,984
barils
96,830

Total
$151,436


Des pêches méthodiquement ordonnées devraient rapporter des centaines de mille piastres.


LA PÊCHE À L’ANGUILLE EN AMONT DE QUÉBEC


Si vous avez parcouru le trajet de Québec à Montréal, à bord d’un des somptueux vapeurs de la Compagnie du Richelieu, par quelque nuit d’été bien noire, sans lune, sans étoiles, mais calme ; si, entre les neuf et dix heures, vous avez risqué quelques pas sur le pont de l’avant, question de causer, de fumer un cigare, d’écouter le barattage des roues qui endort, ou tout simplement de flâner, vous n’avez pu vous défendre d’apercevoir une longue file de lumières, presque régulièrement espacées vers la rive sud du fleuve. Ce chapelet, dont les ave sont autant d’étoiles, s’étend, se déroule capricieusement au gré des anses et des pointes, depuis Lotbinière jusqu’à Sorel, distance d’à peu près cent milles.

Aussi loin que vos regards se portent, vous n’apercevez que des lumières et toujours des lumières ; ce n’est plus un chapelet mais bien le grand rosaire. Pour une lumière qui s’éteint à l’arrière du bateau, il s’en rallume dix à l’avant : le fleuve noue et dénoue une ceinture de diamants à la taille de la nuit noire. Si les étoiles étaient là, bien sûr elles en seraient jalouses.

Vous qui êtes du pays, vous connaissez trop bien ce tableau pour qu’il me soit permis d’insister davantage sur sa description.

C’est le temps de la manne, et l’heure est déjà passée, qui a vu naître, vivre et mourir ces myriades d’éphémères sorties du fond des eaux pour briller une heure au soleil, se bercer dans un de ses derniers rayons, aimer un instant, au feu du jour, pour s’éteindre au souffle de la nuit. Toute la surface du fleuve est semée de leurs cadavres. Mais ces enfants mort-nés de l’air, de la lumière, qu’ensevelit la nuit, semblent prêter une recrudescence de vie aux habitants des eaux. Pour eux, ces corps putréfiés sentent bon ; les roseaux s’agitent, les herbes s’écartent, la vase grouille, le caillou s’anime, la solitude se peuple, la vie du fond du fleuve remonte à la surface. On n’entend plus que le bruit de ce monde muet s’ébattant sur les eaux. Les premiers à la curée sont les ables, les chondrostômes,