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L’ANGUILLE

et une grande dextérité lorsqu’elle a faim, mais elle ne les mange jamais lorsqu’ils tombent au fond de son réservoir. Elle ne semble pas vouloir une autre nourriture, et encore faut-il que le bœuf soit bien frais.

« Elle refuse les vers de terre et même les petits poissons, quelle n’aime toutefois pas voir auprès d’elle ; car elle a constamment poursuivi et attaqué ceux que l’on a mis quelquefois dans son réservoir. Elle ne mange guère que pendant l’été, depuis le mois d’avril jusqu’au mois d’octobre ; elle refuse toute nourriture.

« Jamais elle n’a voulu manger de pain ou une alimentation végétale quelconque. Pendant la saison chaude, ce n’est que tous les six à huit jours qu’elle veut bien manger ; alors elle le montre d’une manière manifeste : elle s’agite dans son bassin, sort légèrement la tête hors de l’eau quand on approche de sa demeure, ou lorsqu’on l’appelle. Les personnes qui lui donnent le plus habituellement sa nourriture semblent, en quelque sorte, être connues par elle ; c’est ainsi que jadis elle venait à la voix de ma sœur, et qu’aujourd’hui elle paraît le faire également lorsque ma fille vient l’appeler au bord de son bassin. Jamais, quoiqu’on l’ait souvent maniée, elle n’a mordu personne ; et si cela est arrivé une fois, c’est qu’on avait mis le doigt dans sa gueule.

« Comme il faut la retirer de son bassin toutes les fois qu’on veut le nettoyer, elle est en partie habituée à être maniée, et, tout en essayant de rester dans l’eau, elle ne fait pas de trop grands mouvements pour s’échapper de la main qui la tient. De même quand on cherche à la saisir dans l’eau, elle ne se retire pas trop brusquement, mais elle vous glisse des mains. Elle est souvent stationnaire dans son réservoir, cherchant constamment à se cacher derrière les pots de plantes aquatiques placés dans son bassin. Souvent, elle reste sans mouvement, étendue au fond du réservoir ; parfois elle se contourne autour des pots, et ce n’est guère que le matin ou le soir qu’elle nage lentement. Quand la température est plus élevée qu’à l’ordinaire, ses mouvements sont plus vifs, brusques parfois. De temps à autre, elle vient à la surface de l’eau. Bien lui en prend d’aimer à se trouver au fond du liquide qu’elle habite ; car une fois, un chat affamé la guettait et n’était arrêté dans sa chasse que par l’eau interposée entre lui et le poisson. Un coup de griffe cependant vint blesser l’anguille auprès de l’œil, qui se recouvrit d’une peau blanchâtre, et que pendant plus d’un mois je crus perdu. Mais heureusement il n’en fut rien, et aujourd’hui l’organe oculaire près duquel devait être la blessure, est semblable à celui qui était resté intact.

« Vers le mois de mai, notre anguille devint encore moins active qu’en hiver même : deux ou trois fois alors elle rendit des corps mous, blanchâtres, que l’on regardait comme étant des œufs. Un peu après cette époque, elle sembla très agitée, à ce point même qu’elle se jeta plusieurs