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L’ANGUILLE

« La bourrole est reliée par une espèce de col de cornue qu’on appelle l’ansillon, à un coffre oblong. L’anguille glisse à travers ces escarpes et contre-escarpes jusqu’à ce qu’elle arrive au coffre où elle trouve son cercueil. Une fois rentrée elle n’en peut plus sortir. Les pointes de harts qui terrninent l’orifice de cette machine ingénieuse forment une barrière hérissée, qu’elle n’ose pas franchir.

« La bourrole et l’ansillon sont des mots du terroir. On dit qu’en France ce genre de pêche est connu sur la Loire, où l’on appelle les engins des bossels.

« Ansillon est peut-être un dérivé du mot français ansière, filet que l’on tend dans les anses.

« La bourrole doit être ce que l’on appelle là une anguillère, vanne placée dans une petite rivière, au-dessous de laquelle on pratique un coffre où se prennent les anguilles quand l’eau est trouble.

« Mais les mots importent peu. Quand il faut causer de pêche et de chasse au Canada, et que l’on n’a pas en France d’opérations similaires, pourquoi répudier les expressions reçues parmi les hôtes ? »


L’historien Charlevoix, ayant à parler de notre pays, disait sans scrupule :

« Nous sommes dans un nouveau monde, il ne faut pas exiger que nous y parlions toujours le langage de l’ancien, et l’usage, contre lequel on ne raisonne point, s’y est mis en possession de tous ses droits. »


Des malins pourront juger que le bon Charlevoix, dont le style est quelquefois un peu diffus et prolixe, voulait désarmer d’avance les critiques de l’avenir. Mais quand il aurait caché quelque anguille sous roche, ses raisons ne nous paraissent pas moins justes et dignes d’être méditées.

Les pêches à l’anguille ont donné à plusieurs habitants du comté de Kamouraska une modeste aisance. L’opération était facile, coûtait peu de temps, point d’argent, et rapportait des bénéfices assurés.


DES MŒURS DE L’ANGUILLE


L’anguille est un poisson nocturne qui mord rarement le jour, en dépit de son extrême voracité. Il habite ordinairement sur des fonds d’argile où il se creuse des trous ; il se cache également dans l’enchevêtrement des racines, sous des crônes, entre des pierres, près de murs démolis tombés à l’eau, dans les digues, non loin des roches dégradées. D’aucuns pré-