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LES POISSONS

« Pendant l’hiver, dit-il, l’anguille s’enfouit dans la vase et s’engourdit pour ne se réveiller qu’au printemps ; d’après Baudrillart on a vu des anguilles vivre des mois, même des années entières renfermées dans la vase des étangs desséchés ou dans les trous des rivières dont on a détourné le cours, privées d’eau et peut-être de nourriture. Cette faculté fait qu’il n’est presque jamais nécessaire de repeupler les étangs qu’on a péchés. Il se conserve toujours assez d’anguilles cachées pour travailler à leur multiplication lorsqu’on leur a rendu de l’eau. »

Un de nos bons écrivains canadiens, M. J.-E. Roy, a écrit les lignes suivantes à l’appui de l’opinion que l’anguille adulte remonte de la mer dans nos rivières :


« Nos ancêtres, dit-il, qui étaient plus scrutateurs et plus studieux que nous ne le sommes, avaient une vague idée des migrations de l’anguille.

« Nous avons remarqué sur une carte du territoire du Saguenay dessinée par Berlin, un chapelet de lacs en arrière de la Malbaie auxquels il donna le nom de lacs à l’Anguille.

« Ces lacs sont séparés par d’étroites bandes de terre en travers desquelles courent des lignes pointillées avec la légende : Portages à l’Anguille.

« Ayant voulu contrôler cette indication singulière, nous écrivîmes au curé de Saint-Urbain, qui nous apprit qu’en effet il y avait dans sa paroisse deux ou trois mares, éloignées de la rivière du Gouffre de près de cinquante arpents. Ces mares forment un lac de douze à quinze arpents de longueur sur deux à trois de largeur qui communique à la rivière du Gouffre par un ruisseau. Quand vient le printemps, c’est par ce ruisseau que l’anguille monte de la mer dans le lac. Elle en descend vers la fin d’août ou au commencement de septembre. Autrefois, on tendait en ces endroits des espèces de nasses ou coffres à anguilles et on en prenait en assez grande quantité ; quelques-uns faisaient aussi cette pêche à l’hameçon.

« La rivière aux Perles, qui traverse le village de Kamouraska, est un des sentiers favoris suivis par ce poisson. Les habitants de l’endroit le savent, et lui tendent des embûches qui sont souvents funestes. Cette pêche à l’anguille est une des curiosités de l’endroit.

« À la mi-août, quand les foins sont coupés et que des champs monte la bonne odeur des fenaisons, les fermiers qui habitent les bords heureux de la rivière aux Perles, jettent en travers du courant une digue de cailloux en forme de croissant. Au centre de ce barrage, ils ménagent une ouverture où se dresse l’embûche. C’est la bourrole, espèce de ruche au sommet tronqué, faite de harts de coudriers ou d’aunes fortement entrelacées, par où coule un mince filet d’eau.