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L’ANGUILLE

DE LA MONTÉE


Différente des poissons anadrômes, comme le saumon, l’esturgeon, l’alose qui remontent les fleuves pour frayer, l’anguille descend à la mer, quand devenue adulte, elle se sent pressée par les besoins de la maternité. Les mères ont roulé pêle-mêle, à l’automne, dans les eaux du fleuve qui les ont charriées à la mer, sans espoir de retour ; mais au printemps, dit de Brehm, des myriades de jeunes anguilles, à peine plus grosses que des fils, remontent les fleuves, se tenant en masses compactes près des rives, et se dispersant bientôt dans tous les cours d’eau secondaires ; c’est ce qu’on appelle les montées d’anguilles.

Nous savons que les anguilles adultes abandonnent les rivières et se dirigent en grand nombre vers la mer ; ce voyage s’accomplit en automne, de septembre à octobre et de préférence pendant les nuits sombres. L’époque du frai doit tomber en décembre et janvier, car il est plus que probable que ce sont les jeunes nouvellement nées qui remontent les fleuves au printemps. Une question qui n’a pas été élucidée est de savoir si dans certaines circonstances les anguilles fraient en eau douce, comme beaucoup l’admettent, ou si réellement toutes les anguilles descendent à la mer pour se reproduire, si enfin, après avoir pondu, les anguilles meurent dans la mer, de telle sorte que l’on n’aurait jamais dans les cours d’eau que des anguilles ayant remonté une fois.

Je crois qu’il est des anguilles qui fraient en eau douce comme en eau salée. Celles qui fraient en eau douce ont une ponte tardive, en mai ou juin, pendant que celles qui vont à la mer, soudainement dégourdies par la température plus élevée des profondeurs, fraient en décembre et janvier. Celles-là ne remontent plus les fleuves, disent certains naturalistes.

Survivent-elles à l’œuvre de la parturition ou en meurent-elles, comme nous l’avons supposé déjà, nous n’en saurions rien dire. Si elles périssent, comment pourrons-nous expliquer cette différence énorme de taille que l’on remarque chez ces animaux ? Toutes les grandes anguilles dépassant quatre pieds de longueur seraient donc des mâles, puisque l’anguille, adulte à douze ans, atteint rarement plus de trois pieds. Qui nous assure également que l’anguille ne remonte pas les rivières après sa parturition ? Si l’anguille ne se reproduisait pas en eau douce, le paragraphe suivant que j’emprunte à de Brehm lui-même, serait en contradiction flagrante avec sa théorie :