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LES POISSONS

ils étaient sortis de l’estomac des poissons de forte taille qui n’avaient pas eu le temps de les digérer. Pourquoi l’anguille dont la boulimie est connue ferait-elle exception à cette règle ? Une grosse anguille doit pouvoir avaler d’une seule bouchée au moins une vingtaine de ses petits embryonnaires, sans les croquer, susceptibles par conséquent de quitter son estomac, à une heure ou deux d’avis, en parfait état de conservation. À nos lecteurs de juger si cette supposition ne vaut pas celle des ascarides de Valenciennes.

C’est l’opinion de Chenu et de Desmarets qui m’a le plus frappé. Ils assurent que « l’anguille fraye dans la vase, après une sorte d’accouplement. Les œufs restent réunis ensemble par une sorte de viscosité analogue à celle qui réunit les œufs des perches d’eau douce et forment des petits pelotons ou boules bien arrondies ; chaque femelle produit annuellement plusieurs de ces boules. Les petits éclosent bientôt, et restent, pendant les premiers jours après leur naissance, réunis dans ces pelotes ; quand ils ont atteint 0m,04 ou 0m,05 de longueur, ils se débarrassent des liens qui les retenaient, et bientôt remontent tous, en bandes serrées et excessivement nombreuses, les fleuves et les affluents près desquels ils se trouvent. »

Nous avons vu que Yarrell et Young, après de consciencieuses recherches faites au scalpel et au microscope, n’ont pu trouver ni œufs ni laitance dans le corps de l’anguille : mais puisque l’anguille est un poisson, qu’elle nait par conséquent d’un œuf comme tous ses congénères, ils ont émis l’idée qu’elle dépose ses œufs dans les sables et les graviers du fond des rivières. Les deux auteurs français que je viens de citer remplacent les graviers et les sables par de la vase. Ni les uns ni les autres n’ont vu la forme de ces œufs, et cependant, les premiers nous les représentent comme étant très petits, et les derniers nous les font voir agglomérés en forme de boules, réunis par une substance gélatineuse quelconque. Ces opinions sont purement gratuites, mais si nous les mettons en doute, on n’a qu’à nous répondre : « Trouvez mieux et prouvez que nous sommes dans l’erreur. » Chose difficile, il faut l’avouer, puisque les œufs mystérieux sont enfouis dans des endroits inaccessibles et restent par conséquent invisibles, insaisissables.

« Dès la première partie de ce siècle, dit le Dr Sauvage, on avait constaté, nous devons le faire remarquer, que l’anguille a des œufs, mais on croyait cet animal vivipare, si on s’en rapporte à ce qu’en dit Baudrillart : « Les œufs des anguilles, écrit-il, croissant dans leur corps, ne peuvent être aussi nombreux que ceux de la plupart des autres poissons ; mais comme elles en peuvent faire dès leur douzième année et peut-être jusqu’à leur centième, leur multiplication est très considérable ; aussi sont-elles extrêmement nombreuses dans quelques eaux. »