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LA BARBOTTE

La chair de la barbotte est fort prisée par les uns et dédaignée par les autres ; elle est comme le pâté de foie gras, ou en raffole ou elle nous écœure.


À ce sujet, je vous raconterai une anecdote. Quelques familles de millionnaires américains passaient des semaines à l’hôtel Russell, à Ottawa, au temps de leur carême, et le galant M. Saint-Jacques, le gérant, faisait de son mieux pour leur procurer de bon, d’excellent poisson, sans pouvoir les satisfaire. Les jolies misses lui montraient des dents blanches aiguisées d’un appétit féroce. Comme feu Vatel, il allait se percer de sa fourchette lorsqu’il songea à Moses Lapointe, le grand fournisseur de marée d’Ottawa. Il lui expose son cas, lui dit son désespoir, et va donc toujours !…

Moses souriant, lui répond : « Avez-vous essayé de la barbotte ? »

— Non, c’est le seul poisson que je ne leur ai pas offert.

— Essayez-en, et vous m’en direz des nouvelles : puis élevant la voix :

— Garçon, douze douzaines de barbottes pour l’hôtel Russell.

Pas n’est besoin de dire que les barbottes furent servies à la meilleure sauce. Cependant pas une des jeunes femmes n’y toucha.

M. Saint-Jacques retourne se plonger dans le gilet de M. Lapointe, qui lui demande sèchement :

— Sous quel nom avez-vous servi le poisson ?

— Sous le nom de barbotte, naturellement.

— Je comprends ; eh bien, je vais vous envoyer du même poisson, mais cette fois, portez-le sur la carte sous le nom de mountain trout et je vous attends ici, demain, de bonne heure.

— Garçon, douze douzaines de barbottes pour l’hôtel Russell !…

Le lendemain, M. Saint-Jacques téléphonait à M. Lapointe : « Je retiens toute votre barbotte. »


Qu’était-il arrivé ? Les millionnaires américains avaient avalé les mountain trouts, du museau jusqu’à la queue, les avaient dévorées jusqu’à la dernière ; les jeunes misses avaient les doigts en sang, à force de se les sucer, et elles en demandaient encore. Depuis, le Russell est devenu le meilleur client de M. Lapointe, pour la barbotte ?… pardon, pour la mountain trout.


La barbotte vit par bandes immenses, sans souci des poissons les plus dangereux, protégée qu’elle est par ses dards aigus ; elle voyage beaucoup, et il faut la chercher longtemps quelquefois avant de trouver son gîte.

Elle aime les fonds vaseux où elle se nourrit de larves, d’insectes mous, de vers. Demandez comment, quand et avec quoi on la pêche, et