Page:Montpetit - Poissons d'eau douce du Canada, 1897.pdf/274

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
250
LES POISSONS

larves d’insectes. Au passage elle croquera un gardon, une écrevisse, mais elle préfère avant tout le scorpion et la larve du hanneton. C’est surtout le soir qu’elle mord hardiment ; elle chasse aussi à la surface par les grands clairs de lune.

Le pêre Doudou Couillard était un fameux pêcheur à la laquaîche. Il y a trois ans, il nous donnait une leçon de pêche dans les eaux de Papineauvilie, à MM. Coursolles, Bance, deux ou trois autres pensionnaires de l’hôtel Chabot et à moi, en capturant quatorze pièces, au quai Chabot, contre sept, seulement, à nous tous. Et nous étions à ses côtés, dans un grand bac amarré à quai.

Ayant huit arpents de marche à faire pour revenir à la maison, je tenais compagnie au bon vieillard, qui peinait sur la route, étant atteint d’une maladie grave qui l’a emporté, à peu de jours de là. Content de sa pêche, il me confia le secret de la chance qu’il avait eue.

« J’ai pris quatorze laquaîches contre vous tous sept : « les vieux sont toujours les vieux, » allez-vous me dire ? Non, mon ami ; si je vous ai battus c’est que j’ai des appâts différents des vôtres. Ce matin, j’ai pioché des vers blancs (larves de hanneton) sur le tas de fumier, en arrière de la grange. C’est le meilleur appât qu’on puisse avoir pour la laquaîche. Avec cela j’ai emporté un panier rempli de paillis et de balles d’avoine, que je jetais par poignées dans le courant, du moment que je voyais le bouillon d’une laquaîche à la surface.

— Un bouillon de laquaîche ? Qu’est-ce que cela veut dire ?

— C’est vrai ! j’avais oublié de vous dire que le matin, la laquaîche laboure, et le soir, elle danse, ou si vous voulez, elle mord au fond, dans l’argile, tout le long du jour, et au soleil couchant elle prend des ailes, elle saute à la mouche. Or, quand la laquaîche prend des ailes, ce sont des ailes de bécassine ; elle court ou nage toujours en zigs-zags : pour l’amener en droite ligne, je lui jette de mon paillis, de mes balles d’avoine, qui flottent au courant et l’attirent comme si c’étaient des mouches ; il ne me reste qu’à lancer mon ver blanc au milieu de ce leurre, et la laquaîche affamée est aussitôt prise. »

— Dans quinze jours d’ici, nous irons au canal, ajoutait-il, et je vous ferai faire une pêche qui s’appelle une pêche, dont vous vous souviendrez toute votre vie.

Huit jours après, le pauvre vieux était mort. Je l’ai conduit au cimetière.