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LES POISSONS

infestant l’air. Le jour où les bateaux à vapeur vinrent couper sa route ; l’alose gagna le nord, et jamais une seule n’a été vue, depuis, sur la rive sud.

L’alose se nourrit de vers, de petits crustacés, de poissons blancs, mais dans nos rivières elle ne mange pas. On ne lui trouve jamais rien dans l’estomac. Elle mordra parfois à une mouche artificielle très brillante et habilement manœuvrée, mais elle est probablement animée alors par un instinct de protection ; car on sait que certaines mouches pondent des larves qui avortent les œufs de poisson.

Lorsque les petites aloses du printemps écloses à la chaleur et à la lumière du soleil de juin sentent les premiers frissons d’octobre, elles prennent au hasard le chemin de la mer, mais elles rencontrent sur la route bien des ennemis, bien des accidents, bien des malheurs.


Vers la mi-décembre 1884, étant alors à Québec, on est venu me dire, non pas comme à Edmond About, qu’une sardine barrait le port de Marseille, mais que les bordages, à Lévis, étaient radicalement couverts de sardines.

— Des sardines à cette saison de l’année ?

— Eh oui, monsieur, des sardines vraies, mais mortes, gelées, rigides et fraîches ; il y en a des masses, des rouleaux, des ourlets sur tous nos bordages de Lévis, principalement dans les anses où la marée les tasse et les rassemble. C’est une manne d’un nouveau genre qui se ramasse à pleines mains. Si vous aimez les fritures, vous n’avez qu’à passer chez nous et vous en aurez à bouche que veux-tu.

Je ne me fis pas prier. À une heure de là j’étais à Lévis, et je constatai que ces poissons morts jetés au rivage en parfait état de conservation étaient non pas des sardines mais bel et bien de petites aloses.

— Mais quelle est la cause de leur mort ? Peut-on en manger sans danger ? Voilà ce que chacun se demande sans trouver de réponse. Elles ne sauraient être victimes d’une épidémie, car les poissons ont de nombreux ennemis, mais peu de maladies. Ils meurent capturés par l’homme ou dévorés par d’autres poissons et divers amphibies, rongés par des parasites et quelquefois empoisonnés — par la chaux, la noix de galle ou des substances chimiques, par défaut d’une quantité suffisante d’oxygène. — Quant aux maladies dont l’air est le principal véhicule, elles ne les atteignent que rarement. On peut donc manger de ces petits poissons morts, sans aucun danger.

J’attribue la mort de ces petites aloses à l’ouragan du 5 novembre — qui a soulevé le fleuve Saint-Laurent de son lit, inondé des villes, effondré des quais, broyé des navires et répandu la stupeur parmi les populations des deux rives.