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LES POISSONS

petits une fois au jour cherchent leur nourriture autour de leur berceau et séjournent dans les eaux douces pendant cinq mois, jusqu’à ce que saisis par les premiers froids, ils vont se blottir dans les mystérieuses profondeurs de la mer où les parents les ont devancés et d’où ils ne reviendront qu’à l’âge de trois ou quatre ans, lorsque l’heure du berger aura sonné pour eux.

Pendant longtemps on a cru que les harengs partaient des régions arctiques, tous les printemps, pour émigrer vers le sud, en garnissant les rives de l’hémisphère boréal d’une bordure d’argent plus riche que n’en eut jamais royal manteau ; mais il y a quelque vingt-cinq ou trente ans, Milne-Edwards a mis fin à cette théorie fantaisiste en exposant que c’est au nord d’où il est censé venir que le hareng se trouve en moins grand nombre, en faisant la pêche d’hiver dans des baies à grande profondeur d’eau, en démontrant l’impossibilité physique de pareils voyages, surtout pour le jeune frai de l’année.

On attribuait les mêmes migrations à l’alose, la reine des harengs ; seulement, au lieu de descendre du pôle nord, elle y remontait en partant du golfe du Mexique, longeant les rives des États-Unis, en semant des colonies dans tous les grands cours d’eau donnant sur sa route, jusqu’aux bancs de Terre-Neuve, où faisant équerre, l’arrière-garde de cette immense procession pénétrait dans le golfe Saint-Laurent pour le remonter jusqu’au-dessus de Montréal. Aujourd’hui cet enseignement n’a plus cours pas plus pour l’alose que pour le hareng. Sa ponte étant finie, elle retourne à la mer réparer ses forces dans les gras pâturages qu’elle a quittés pour se reproduire et répondre aux instincts de sa nature. Moins coureuses que nos pères ne la croyaient, peut-être ne s’éloigne-t-elle que d’un jour ou deux de marche de son berceau et du lieu de ses amours. Chaque rivière que fréquente l’alose doit avoir une retraite maritime peu distante de son embouchure où ce poisson trouve le vivre et le couvert, durant toute l’année en dehors de l’époque du frai. Au printemps, la rivière se réchauffe sous les rayons du soleil revenu dans nos parages et l’alose y risque un œil et un coup de nageoire. Ce manège se répétant de rivière en rivière, sur les pas du soleil, on a cru à une procession générale partant de la rivière Saint-Jean, en Floride, et venant jusqu’à Cornwall, jusqu’à la chute Niagara peut-être, au temps jadis, mais jusqu’à Montréal, au moins, de nos jours. C’est une question de température, rien de plus. Pas de procession plus que dans le creux de votre main. C’est si peu une procession générale qu’une rivière plus au nord se trouvera habitée parfois avant une rivière plus au sud. D’où vient cela ? Tout simplement de ce que la rivière la plus au nord se trouve être d’un cours moins long et d’une moindre altitude, ce qui fait qu’elle se réchauffe plus promptement que sa voisine du midi, plus longue et partant de plus haut. Les neiges