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LES POISSONS

CLUPÉIDÉS



La famille des Clupéidés ou des Clupes est caractérisée par le hareng, dont les espèces et les variétés sont multiples. Il n’est pas de poisson plus répandu que le hareng dans les mers septentrionales. Tous les printemps il garnit les deux continents de l’ancien et du nouveau monde, depuis la hauteur de leur ceinture jusqu’au cercle polaire, d’une large bordure argentée brillant du plus vif éclat. À ce moment il excite l’appétit, la convoitise des nations ; des flottes s’équipent pour rechercher ses dépouilles ; il en surgit de tous les côtés, de tous les ports ; la mer se couvre de filets dont les mailles traîtresses enlacent, étouffent le poisson d’argent, le poisson du pauvre, à un sou la pièce, qui fait la fortune des millionnaires, la richesse des empires. Combien de fois le sort de l’Europe n’a-t-il pas dépendu de la pêche de ce poisson ! Demandez-le plutôt à l’Écosse, à l’Angleterre, à l’Irlande, à la Suède, à la Norvège, à l’Allemagne, à la Hollande surtout. Qui n’a entendu dire que Amsterdam est bâti sur des arêtes de harengs ? Eh ! ne pourrait-on pas en dire autant de vingt, cinquante et cent villes d’Europe ? Au Canada même, il est l’objet d’une industrie et d’un commerce d’une importance extrême. Après la morue il est notre denrée maritime la plus précieuse ; sa part de contribution annuelle à la richesse publique se compte par des millions de piastres.

Le hareng est un poisson de mer qui s’approche des rivages ou remonte les fleuves jusqu’en eau saumâtre pour y frayer. Quelques espèces pénètrent dans les fleuves, au printemps, pour y jeter leurs œufs ; l’alose est de ce nombre ; d’autres, comme le dos bleu du lac Érié, s’aventureront au loin et s’acclimateront dans les eaux douces sans jamais retourner à la mer. En 1894, le bureau des pêcheries de la province d’Ontario fit transporter à grand frais du frai d’alose, dans le lac Ontario, et après l’éclosion des œufs il se trouva que l’alose avait été changée en nourrice pour du gasparot, un ravageur de frayères de poissons blancs. Les pêcheurs jetèrent les hauts cris, mais le mal était fait et presque sans remède, car le gasparot, fort apprécié en mer, n’a plus aucune valeur dans les lacs. Il faut reconnaître toutefois qu’il est particulièrement goûté de la truite des lacs, des brochets, des maskinongés, des dorés mêmes qui en sont de franches lippées. Ce qui se perd d’un côté se rattrape ainsi de l’autre.