Page:Montpetit - Poissons d'eau douce du Canada, 1897.pdf/256

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
232
LES POISSONS

l’animal, se soulevant au-dessus du fond, avance par une sorte de marche quadrupédule, à l’aide de ses membres.

« La natation est rapide, grâce à l’énergie des mouvements de la queue ; mais elle peut être comparée à celle d’un triton, plus encore qu’à celle d’un poisson.

« Une partie de la vie, au reste, se passe dans une immobilité presque absolue, car leur instinct les entraîne à se cacher, vers la fin du temps des pluies, avant la saison sèche, en s’enfouissant dans la vase qui se durcit après la disparition de l’eau et sous l’influence des rayons solaires.

« Depuis quelques années, on apporte de la Gambie en Europe des mottes de terre d’une grosseur variable mais qui ne dépassent pas le volume des deux poings ; chacune d’elles contient tout un protoptère. Elles proviennent des rizières, des marais, des étangs ou des rivières qui se dessèchent et dont les eaux sont habitées en abondance par ce poisson. De semblables mottes ont été vues à différentes reprises au Muséum d’Histoire naturelle, et plusieurs observateurs ont pu étudier, à l’état de vie, les animaux qu’elles contenaient.

« Il m’a été donné d’y assister aux manœuvres qu’ils exécutent pour se creuser leur demeure souterraine.

« À une certaine époque on avait cru que l’ensevelissement se faisait au milieu de feuilles qui constituaient l’étui protecteur. Plus tard on a reconnu l’inexactitude de cette supposition. Senckart a émis l’opinion que l’épiderme, en se détachant du corps, fournit les matériaux de l’enveloppe. Cependant, comme jusqu’au moment de la réception à la ménagerie du Muséum de blocs provenant de la Gambie, on n’avait été témoin que de l’apparition de l’animal quand il quitte sa demeure souterraine où jamais on ne l’avait vu pénétrer, on en était réduit à des conjectures sur la nature et le mode de formation de cette sorte de cocon.

« Deux lépidosirènes (protoptères) revenus à l’état de liberté par suite du ramollissement lentement obtenu des mottes où ils étaient logés, donnèrent, après un mois d’existence active dans un aquarium, la preuve que le moment était venu pour eux de chercher, dans la terre molle que l’eau recouvrait, l’abri qui, dans les conditions ordinaires de leur vie, est indispensable durant la saison sèche : agitation, sécrétion abondante de mucus, efforts pour fuir, tout annonçait un irrésistible besoin de trouver un milieu autre que celui où ils étaient plongés. Je m’efforçai donc de les placer dans des conditions analogues à celles qu’ils rencontrent lorsque le sol abandonné par les eaux se dessèche et finit par se durcir. L’eau de l’aquarium fut peu à peu enlevée, dès que les animaux eurent creusé la vase. Trois semaines environ s’étaient à peine écoulées, et