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LES POISSONS

Michigan, Érié et Ontario ; plus au nord, les glaciers réduits des Laurentides creusés en lacs innombrables sur les flancs des montagnes, depuis le lac Témiscamingue jusqu’à l’extrémité est du Labrador ; au sud, les lacs majestueux de Témiscouata et autres de la presqu’île gaspésienne ; à l’ouest une autre série de lacs étalés en deçà du 56e degré de latitude, jusqu’aux montagnes Rocheuses, et par delà, encore d’autres lacs imposants, très poissonneux, qui se déversent dans l’océan Pacifique ? C’est là que l’on rencontre le transmontanus de Richardson, qui se développe jusqu’au poids de huit cents livres et plus. Ce poisson géant remonte au printemps la rivière Columbia, serpentant aux flancs des montagnes Rocheuses, jusqu’à un plateau d’une étendue immense, occupé en bonne partie par des lacs aussi vastes que profonds, entre autres le lac Daly, dans lequel il va déposer ses œufs. Aussitôt la ponte faite, il se hâte de retourner à la mer ; mais souvent il arrive que la rivière dans son cours précipité tombe presque à sec, et alors, ces grands corps de dix à quinze pieds de longueur s’entassent en barrages, périssent par milliers et infestent l’air au loin des exhalaisons pestilentielles de leurs charognes.


Il est assez généralement admis que le poisson anadrôme, qui fait navette entre les eaux douces et les eaux salées, acquiert une plus forte taille que celui de la même famille qui reste confiné en eau douce. On vous cite entre autres, comme exemples, le bars, la lamproie (pteromyzon), le hareng, le saumon changé en saumon nain, dwarf salmon ou huananiche ; l’esturgeon, à son tour, pèse dans la balance d’un poids énorme.

Sur l’ancien continent d’Europe et d’Asie, l’esturgeon remonte les fleuves tributaires de l’Atlantique, de l’océan Pacifique et de l’océan Arctique, au temps du frai ; en Amérique, où il occupe des eaux à peu près isothermes, quoique de nature un peu différente, ce poisson va porter diligemment ses œufs, à l’époque de maturité, dans les avenues d’eau douce qui lui sont ouvertes sur l’Atlantique et le Pacifique ; mais il ne fréquente pas les fleuves américains ouverts sur l’océan Arctique, ce qui donne lieu de croire qu’il n’existe pas dans notre océan glacial archipélien où les courants circumpolaires jouent aux dominos avec les banquises et les îles ; ces derniers dominos étant marqués par des noms de rois, de princes, de navires, d’hommes de génie, des noms de savants, de poètes, de héros sans le savoir morts dans ces solitudes pour toujours vivre parmi les hommes. Qui donc a pu dire : Heureux les peuples qui n’ont pas d’histoire ? Par un contraste aisé à saisir, n’aurait-on pas le droit de dire ici : Heureux ce désert de glace, à raison des gloires dont il est constellé, qui restent la pléiade de l’histoire la plus brillante, gravitant autour de l’étoile polaire ?