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LES POISSONS


DE L’ÉLEVAGE DE L’ESTURGEON AU CANADA


Je suis de ceux qui croient au déluge. Le globe terrestre, un jour, et plusieurs jours durant, aura été englouti dans une masse circulaire énorme d’eau douce, enveloppant d’une couche épaisse les eaux salées centrales, le fond du baril de la terre, où nous trouvons place en vie, en attendant que nous y soyons encaqués à notre mort.

Les poissons eurent naturellement moins à souffrir du déluge que la plupart des autres animaux, mais la terre et la mer étant solidaires, il fallut bien que la mer effaçât la faute de l’homme commise sur terre.

Le déluge fut une rude éponge, et le genre humain, représenté par l’amiral Noë et sa famille, dut respirer avec soulagement, lorsqu’il apprit que le plancher naturel de l’homme était à sec, par le message d’une colombe lui apportant une fleur de laurier.

Acceptant la théorie du déluge, qui me paraît rationnelle, je me demande comment les poissons se sont comportés, du jour où le soleil a débarrassé la terre de sa tunique diluvienne. Les grands animaux s’emparèrent naturellement des vastes champs des mers ; ainsi firent les familles à bancs ou à écoles, comme les morues, les harengs, les maquereaux et autres, destinés à servir de pâture aux premiers occupants par la force. D’abondantes provisions de menu fretin, de crustacés, de vers, d’insectes, de vibrions se trouvèrent servies à souhait sur la nappe des rives ; des refuges furent ménagés sous de hauts herbages, pour alimenter et protéger les troupeaux pourchassés par les tyrans de l’Océan, qui sans le savoir ramenèrent à la portée de l’homme une nourriture d’une valeur inestimable que la Providence lui a réservée.

Mais, sous les douches répétées et persistantes du déluge dans l’ensevelissement de la terre par une atmosphère soudainement condensée en eau : en l’absence de tout point de repère, de toute saillie où prendre pied ou griffe — il y eut une perte de vie animale immense. Tous les mammifères, sauf un certain nombre d’amphibies, ont été noyés, et leurs cadavres attestent, ici et là, sous la croûte terrestre brassée par les explosifs, les exhaussements, les agitations volcaniques, les érosions, les affaissements, jusques dans les glaces de la Sibérie, qu’un cataclysme les a surpris, détruits et enfouis, un cataclysme bandit, assassin et fossoyeur en même temps. Il a péri du coup un nombre incroyable