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L’ESTURGEON

la mer sont une propriété individuelle et collective de l’armée de l’Oural, c’est-à-dire de leur corporation, propriété qu’elle a reçue en rémunération de ses obligations militaires. D’après cette manière de voir, toutes les pêches doivent se faire collectivement, d’après un plan fixé une fois pour toutes. Il y a seize pêcheries différentes dont les lieux et le temps sont annoncés d’avance aux Cosaques, et qui s’exercent systématiquement dans un ordre sévèrement observé avec une sorte de discipline militaire et sous la surveillance d’un chef spécial appelé ateman de la pêche.

« Ces pêches, pour lesquelles se réunissent jusqu’à dix mille hommes, se font surtout en deux saisons : la pêche d’automne a lieu aux filets flottes, la pêche d’hiver au croc.

« L’Oural est un fleuve dont la pêche est l’unique destination ; aussi appartient-il, on peut le dire, exclusivement aux Cosaques. C’est ainsi qu’ils ne permettent pas d’aller en bateau sur le cours d’eau, et qu’on ne peut traverser le fleuve qu’en cas de nécessité urgente, de peur d’effrayer le poisson : les chevaux et les bestiaux ne doivent pas être abreuvés dans le fleuve ; on n’ose pas tirer des coups de fusil le long de ses bords ; il n’était pas même permis naguère d’éclairer les chambres dont les fenêtres donnaient sur l’Oural.

« Il y a dans chacune des stanitzas ou villages de Cosaques, qui sont toutes situées sur les bords du fleuve, un vieillard expérimenté nommé gardien de l’Oural, qui doit observer la marche du poisson afin de connaître approximativement en quelle quantité le poisson s’est rassemblé dans telle ou telle yatove. L’expérience qu’ils acquièrent est si grande qu’ils reconnaissent, d’après les bonds des poissons, non seulement l’espèce à laquelle ils appartiennent, mais même leur sexe, différence très importante dans ce cas, puisque le prix d’une femelle pleine d’œufs surpasse au moins de trois fois le prix d’un mâle.

« Dans la partie inférieure de l’Oural, jusqu’à la ville d’Ouralsk, chef-lieu des Cosaques, la pêche n’a lieu qu’en hiver, lorsque le fleuve est glacé. Au jour fixé, mais pas avant dix heures du matin, pour donner à tout le monde le temps de se rassembler — car beaucoup passent la nuit, à cause du froid, dans les villages et les habitations du voisinage — les traîneaux des pêcheurs avec leurs crocs suspendus à l’attelage se rassemblent et s’alignent sur le rivage en face de la yatove. On observe, pendant ces préparatifs, le plus profond silence, pour ne pas effaroucher le poisson engourdi. Un coup de canon donne le signal d’après lequel tous sautent sur la glace pour occuper au plus vite les places et percer les trous dans la glace, afin d’y plonger leurs crocs, au commencement même de la pêche. En quelques minutes, la place, sur tout l’espace occupé par le yatove, est percée de trous comme un crible.

« En Sibérie, sur le fleuve Amour et ses affluents, la pêche à l’es-